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Le vertige danois de Paul Gauguin : salutaire ?

À n’en pas douter, quand on referme le dernier roman de Bertrand Leclair qui se lit dans le sens d’une biographie – si l’on est féru de chronologie et d’exactitudes – ou dans la musique d’une peinture si mystérieuse, si l’on aime croire un peu aux miracles que les peintres nous révèlent. N’est-ce pas Stéphane Mallarmé qui résuma, en une seule phrase inoubliable, en 1893, cette stupéfiante lumière qui se dégage d’un tableau de Gauguin : "Il est extraordinaire qu’on puisse mettre tant de mystère dans tant d’éclat"…  Mais avant d’en arriver-là, c’est-à-dire d’oser aller à Tahiti se confronter avec l’idéal exil que Gauguin vantait à ses proches, à ses amis, sans réellement parvenir à décrocher, il va s’en passer de belles. À commencer par cette fuite au Danemark, patrie de Mette, l’épouse en colère de voir que son courtier de mari ne se prend plus pour un collectionneur (Pissaro, Cézanne, Degas, etc.) et un peintre du dimanche mais qu’il a soudainement profité du crack de 1882 pour prendre le maquis. Et s’inviter dans le petit monde des arts. Mais les économies fondent trop vite, le départ de Paris ne suffit pas à réduire le train de vie. Ne demeurait alors que l’idée folle de recouvrer la belle-famille danoise dans les beaux quartiers de Copenhague.

 

Mais là aussi, Paul Gauguin va très vite déchanter tant l’ambiance protestante toute de rigueur et de codes va le museler, tant dans son utopique projet commercial que dans son délire de devenir le peintre incontournable que tout le monde attend. Malgré une invitation à exposer au prestigieux Cercle de l’art, le scandale s’invitera si vite que dès midi le rideau sera baissé et l’exposition annulée…

 

Or, il en faut un peu plus pour décourager un artiste, surtout de la trempe de Gauguin, fier dans ses bottes, arguant du caractère en acier de sa mère – elle-même ayant du se battre pour parvenir à ses fins, traversant l’océan pour aller demander justice jusqu’au Pérou –, ce ne seront donc pas quelques dettes et une invitation à ne plus descendre de sa sous-pente d’atelier qui vont le faire renoncer à son grand-œuvre ; loin s’en faut !



 

Poussé dans ses retranchements, Gauguin ne capitulera pas, refusera la norme de la bourgeoisie conformiste et n’aura de cesse que de clamer l’extrême de ses choix comme seules possibilités de faire avancer l’aventure artistique. Sortir des canons, s’affranchir de la faculté, faire taire les critiques incultes, annoncer l’arrivée de la couleur, bref : sortir du cadre !

 

Fouillant archives, correspondances, essais et, bien entendu, scrutant au plus près ces peintures in situ – c’est au Danemark que se trouve la plus grande collection de Gauguin –, Bertrand Leclair a mis à profit sa bourse de la Mission Stendhal pour étayer son propos de la plus belle des manières. Érudit mais non pompeux, aérien mais jamais présomptueux, ce roman léger mais fort sérieux, n’est jamais ennuyeux et se dévore plus qu’il ne se lit tant le foisonnement des détails mis bout à bout délivre une aventure humaine hors de commun, qui vient habillement compléter la BD de Leroy & Gaultier. Et rétablit dans de justes mesures une vérité trop souvent écornée par une légende sulfureuse qui fait de Gauguin un peintre dépravé. Car c’est une fois encore de quête de vérité dont il est ici question : jamais Gauguin n’a voulu autre chose que franchir le tain imposé comme frontière alors même que la lumière filtrait derrière le cloisonnement imposé injustement. En s’affranchissant de tout, en se révélant dans sa propre vérité d’homme en quête d’absolu, Gauguin n’aura en rien raté sa vie ni celle de ses proches. Il suffit, comme le prouvent les dernières pages, de voir ce que sont devenus ses descendants, fidèles au chemin tracé par leur aïeul.

 

François Xavier

 

Bertrand Leclair, Le vertige danois de Paul Gauguin, Actes Sud, « un endroit où aller », février 2014, 192 p. – 19,00 €

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