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Bye Bye Elvis : le duo perdant de Caroline De Mulder

À vouloir faire un portrait croisé de deux monstres, le King et l’immonde John White, Caroline De Mulder égare son lecteur. Tricoter deux destins parallèles en alternance est un défi compliqué car la frustration de lecture doit être aussitôt noyée par les vagues de curiosité que le second sujet doit développer, et ainsi capturer l’attention. Or, si l’on se laisse conduire lors des premiers chapitres, il s’avère très vite que la vie tourmentée d’Elvis Presley captive quand le destin d’Yvonne, femme à tout faire au service du pachyderme John White (quel nom ridicule !) lasse. D’autant que l’écriture s’en ressent : les trouvailles narratives construisant un style rock qui colle si bien à décrire les frasques d’Elvis deviennent éculées dès lors qu’il s’agit d’Yvonne, on à l’impression de lire du Delphine de Vignan, c’est dire le côté gnangnan. À trop vouloir grossir le trait on n’y croit pas une seconde et l’invraisemblance du rapt suivi de son évasion réussie (il pèse plus de cent kilos, a du mal à marcher, et un taxi passe comme par hasard…) parachève le désastre.

Alors on saute, on ne lit plus qu’un chapitre sur deux, pour rester emballé, amusé et se repaître sans honte de cette vie dézinguée de star à l’américaine.

 

C’est aussi bien triste cette vie de chanteur à la mode, on y voit en reflet le destin de Marilyn, côté garçon : deux enfants qui n’ont pas grandi, manipulés par des managers avides, une famille débile, des fans dégénérés. Société du spectacle où l’excès est la norme, les drogues la nourriture, l’argent la raison d’être. Ou comment détruire le rêve d’un enfant. Elle se voyant actrice, lui chanteur, les deux détruits sur l’autel du profit.

 

Emporté le lecteur dans ce portrait d’Elvis par une langue chantante et imagée, galopante et fruitée, avec ce clin d’œil à Ulysse (p.57) quand le jeune Elvis, qui est alors chauffeur et passe des auditions, croise ce filsdepute de Eddie Bond [qui] lui dit qu’il ne sait pas chanter. Alors que c’est là toute sa vie, la musique l’habite comme d’autres la peinture ou l’écriture. Elvis le nègre blanc, le gamin blanc aux hanches noires déchaînera les foules en se jouant de son handicap, cette patte folle qu’il ne contrôlait plus dès qu’il était sur scène, électrisant les foules d’adolescentes hystériques, public en transe qui oubliait les fausses notes et les hurlements de la "star", et n’avait d’yeux que pour le déhanchement d’Elvis le Pelvis, au point que ses musiciens assourdis se vantent d’être le premier groupe au monde dirigé par un cul.

 

Manipulé, projeté dans le monde sulfureux d’Hollywood par un manager sans état d’âme, Elvis sombrera dans la déprime, tentera un come-back puis s’effondrera derechef dans les douceurs de la pharmacopée, entre ses insomnies, l’échec de son mariage, ses lectures mystiques, ses très jeunes compagnes, se sentant toujours pris dans la nasse, sans parvenir à s’échapper, éteignant sa télévision à coups de revolver, étouffant son ennui d’enfant qui se met debout sur une chaise pour avoir l’air plus grand, en vain, jusqu’au constat final : les amphétamines sont depuis toujours le meilleur moyen qu’à trouvé Elvis de courir plus vite, tout en n’allant nulle part.


Mais que cela ne vous empêche pas d'écouter le King, dont voici la toute dernière vidéo jusqu'ici inédite :



 

François Xavier

 

Caroline De Mulder, Bye Bye Elvis, Actes Sud, coll. "Domaine français", août 2014, 288 p. – 20,00€

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