Cinquante nuances de Grey : lettre ouverte d’Anne Bert aux médias

Chers médias, journalistes et chroniqueurs culture

Il faut que l'on se parle, ça ne peut plus durer. J’vous jure, il y a de quoi se rebeller contre ce lavage de cerveau débilitant et cette hypocrisie latente. Depuis quand la littérature érotique vous intéresse-t-elle ?   

 

Je sais bien que comme pour les moutons, l’espèce humaine subit la montée des hormones sexuelles à la saison automnale quand les nuits rallongent, mais voilà maintenant quelques semaines, qu’émoustillés au possible, vous prêtez tous vos gorges brûlantes et vos gros titres racoleurs au phénomène érotique venu outre atlantique, Fifty Shades of Grey, dans vos pages culture. Oui, culture !

 

C’est tellement improbable que vous chroniquiez des livres érotiques que vous surfez sur un crescendo de ouhlala…. d’exclamations d’ado et de jeux de mots excités : un best-seller de cul made in GB arrive en France ! Via les éditions Lattès, maison ouverte et ambitieuse. On pourrait ajouter opportuniste. Une inflation de zéros dans le circuit économique du livre et de ses dérivés, ça fait un choc ! Un vertige plus sonore et trébuchant qu’érotique et littéraire.

 

Car, bien sûr, ce qui a retenu votre attention pour sacrifier autant de précieuses lignes dans vos colonnes pourtant avares en matière de genre érotique, ce ne sont pas les qualités d’écriture ni même licencieuses de ce pavé de 500 pages digne d’un Harlequin un peu salé, mais uniquement le nombre d’exemplaires vendus.

 

Alors puisque ces 50 millions vous impressionnent, ce n’est pas dans la rubrique culture que devrait figurer ce que révèle finalement ce succès commercial, mais dans la rubrique société.

 

Qu’affirme ce succès ? Ceci : les lectrices et  même les bourgeoises américaines sont avides de sexe, elles s’emmerdent dans leur quotidien ennuyeux avec leur petit mari, elles ne sont pas frigides après 50 ans comme on le croit, mais sans doute mal baisées et finalement bien soumises… aux convenances puritaines de midinettes rêvant d’un prince charmant aux manières de bûcheron.

 

Voilà ce que l’on devrait plutôt lire dans vos pages sociétés. Les femmes veulent du sexe ! D’ailleurs les 40 % d’augmentation du chiffre d’affaires des sex-shops après la parution du titre aux USA confortent ce constat.

 

Et c’est d’ailleurs ce qu’admettent certaines de vos consœurs, 50 Nuances de Grey est certes mal écrit et déplorable de conformisme, mais efficace et chauffe pas mal. Ça en excite quelques-unes et elles le disent dans leur papier.


Chacun ses fantasmes… et sa sexualité. Quand d‘autres crient au scandale féministe de l’affaire et se lamentent d’avoir lutté des années contre la dépendance des femmes pour voir porter au pinacle leurs désirs enfouis d’obéissance, de fessées et de fouet. Pour les Françaises, peut-être la faute à la Comtesse de Ségur, allez savoir…


Alors pour retomber sur vos pattes après vos gros titres réprobateurs – mais gros titres quand même – et puisque vous avez enfin compris que le sexe, après être à l’origine de la vie, mène le monde, vous proposez ça et là à vos lecteurs des listes de livres érotiques dignes d’être lus pour prouver que vous ne seriez ni prudes ni moralisateurs, mais avant tout exigeants. Des titres certes bien choisis, mais… si classiques, tellement classiques. Allons ! Faites donc des escapades dans le chaud juste sorti des feux de l’Enfer et exercez vos métiers d’information et de critique du XXIe siècle plutôt que de snober les services de presse des auteurs de littérature érotique. Les lecteurs n’attendent que ça.


Vous ne manquerez pas de penser que ce n’est que la jalousie qui anime ma plume de romancière érotique à petit tirage (je donne en pâture jusqu’à de très mauvais jeux de mots). Vous vous trompez. Je sais que je me grille un peu auprès de vous, mais tant pis. Pour tout l’or du monde, il y a plein de choses que je ne voudrais pas faire et pour tout l’or de Fifty Shades of Grey, je ne consentirai à écrire un tel texte. Quoique… Mais selon moi, l’amour de la langue guide l’amour du sexe en écriture. Nom d’une pipe ! Ce que je souhaiterais pour tous les romanciers, nouvellistes et éditeurs érotiques actuels, c’est un peu plus de curiosité de votre part sur ce que nous publions, tout simplement parce que, vous le découvrez aujourd’hui avec 50 nuances, ces textes intéressent beaucoup de coquins et de coquines.


Les catalogues des éditions La Musardine, Tabou, Blanche, L’instant érotique de chez Hors Collection, Dominique Leroy… et d’autres collections érotiques de maisons généralistes vous offrent une multitude de voix et de genre.

 

Bien à vous

 

Anne Bert

 

EL James, 50 Nuances de Grey, JC Lattès (octobre 2012), 560 pages, 17 €

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15 commentaires

Merci de faire entendre cette voix singulière, que je vais m'efforcer de relayer dans la mesure de mes maigres moyens ;-)

anonymous

En littérature comme en sport ce n'est pas toujours le meilleur qui l'emporte... fifty shades of grey, c'est comme Lady Gaga : une attraction en soit.

De part le phénomène en lui même qui n'a d'ailleurs jamais eu pour prétention d'être un évènement littéraire. Preuve en est qu'on en parle tous plus sous l'angle "sociétal" que littéraire.

Les médias en général ont effectivement tendance à donner la priorité aux livres qui se vendent, genre de prime aux vainqueurs, sans toujours se pencher sur le contenu et la qualité du texte. Anne Bert a raison : le production littéraire érotique française ne manque pas de textes de grande qualité qui passent inaperçus, ne serait-ce que les livres d'Anne Bert elle-même.

Pas sûre de vous suivre sur l'analyse de la vie sexuelle des femmes américaines. Que dire des Françaises alors? Mais pour le reste, je suis entièrement d'accord. J'ajouterai que la critique littéraire française lit des Harlequin puisqu'ils ont tous comparé ce livre à un mauvais Harlequin ( ce qui suppose qu'il y en a des bons...). Chaque titre a largement parié sur l'aspect érotique du livre. Or je ne pense pas que cela ait été le but de l'auteur d'écrire la nouvelle sensation érotique comme Histoire d'O ou autre. Je doute également que certains chroniqueurs moqueurs aient vraiment lu ce qu'ils recommandaient sinon je n'aurais pas entendu ou lu plusieurs fois les Onze mille vierges ( sic) d'Apollinaire. En plus d'avoir succombé au succès facile de dégommer ce bouquin, ils se sont imités les uns les autres sans finesse.

« un best-seller de cul made in USA … les femmes et les bourgeoises américaines sont avides de sexe » Avant de pontifier, Anne Bert ferait mieux de se renseigner : E. L. James est une Britannique de parents écossais et chilien vivant à Londres : le roman est anglais pas américain.

je parlais des lectrices américaines, non pas de l'auteur Oncle Incadol


mais il est vrai que la made in , est une erreur...Pontifier, je ne le crois vraiment pas, la tempête médiatique est bien une réalité pour un livre qui , écrit en français, n'aurait jamais été accepté chez Lattès, ni commenté dans les pages cultures françaises....c'est le propos de ma lettre

Je me demande si les journalistes auront la curiosité de lire L'empire des Femmes (gros - que dis-je, "gros" - énooorme coup de coeur perso) et l'audace d'en parler, histoire de focaliser leurs investigations littéraires sur autre chose que le produit qui va faire parler de lui par son nombre de ventes, peu importe son contenu. Cette course journalistique à qui va parler le premier et le mieux du futur best-seller (dont on gonfle les ventes par des critiques dithyrambiques, le plus souvent sans avoir lu le livre...) est risible autant qu'affligeante.

anonymous

Tout à fait d'accord avec ce qui a été dit... Je vais m'arrêter au tome 1 ça me suffit... Quel ennui!!!

Mais cela m'étonne pas que cela fasse fureur! Pauvre monde....