Sade : Attaquer le soleil au Musée d’Orsay


Sade est au Musée d'Orsay, Le Salon Littéraire y était donc aussi pour essayer de comprendre en quoi l'oeuvre sadienne a influencé le monde de la peinture et de la sculpture.


Si à Charenton Sade doit bander comme un fou dans son tombe en se voyant ainsi célébré au musée... à Caen, Michel Onfray doit être fou de rage que l'on mette cet ennemi de l'amour solaire à Une. Et pourtant il n'y a pas de quoi fouetter une chatte à Orsay.


Bizarre bizarre,  me suis-je répété  en cheminant sur le parcours de cette exposition consacrée aux influences sadiennes sur la peinture. 

Chercher Sade dans chaque œuvre accrochée m’a paru assez vite vain, voire spécieux, d’autant que certaines sont antérieures à Sade comme La mort de Sisara de Palma le jeune  (1625) ou  ce Saint Sébastien évanoui  de De Bellis qui fut certes  sadiquement  percé de flèches par des archers mais enfin c’était au début du 17 ème siècle…  Le concept de l’exposition étant précisément  l’influence de l’écrivain sur le monde des arts,  l’absence de  cette inspiration m’a  plus déroutée et  dérangée que les sexes arrogants, les postures obscènes ou les sévices infligés que l’on s’attend forcément à regarder dans une telle exposition.

   

Valloton , Orphée dépecée par les ménades

Le visiteur est laissé à ses interrogations, Le Sacrifice antique de Géricault ou la monstruosité cannibale  vue par Goya doivent-ils quelque chose à Sade ? Valloton, s’il est sadien  lorsqu’il peint son Orphée dépecée par les ménades, s’est-il seulement inspiré de son univers ? La cruauté dépeinte ne suffit pas à démontrer le lien. Rodin, Cezanne, Delacroix et Picasso  se sont-ils inspirés de Sade  ou ont-ils puisé simplement en  eux-mêmes et dans le théâtre du monde pour raconter  le désir, la luxure, la férocité, la démesure,  le goût de l’horreur ? Que doit  Médée furieuse  à Sade ? Et le superbe Gravida de Masson ? 


Masson, Gravida

L’exposition n’offre aucun  texte explicatif  qui puisse nous faire saisir la relation entre Sade et ces artistes ;  où se cache Sade  dans leur parcours, leur travail, leur inspiration,  leur environnement ?   Comment Sade a-t-il pu les décomplexer, et les a- t-il seulement influencés ?  Il ne suffit pas de décréter  que Sade  est le parrain  des œuvres subversives des peintres  et que c’est lui qui a infléchit  l’ordre moral,  pour que ce soit véridique. C'est comme en mathématiques, il faut démontrer. L’absence  d’arguments  prouvant son empreinte dans leurs œuvres est frustrante et  finit par agacer.


Alors on lit les  citations qui ornent les murs à côté des tableaux,  fragments de textes d’ailleurs  plus lucides que sadiques ou sadiens,  écrits par Sade lui-même ou d’autres   extraits d’ œuvres d’écrivains ou de philosophes,  en voici quelques exemples  : 

 Il n’est point d’homme qui ne veuille être despote quand il bande (Sade) .

Voir souffrir fait du bien, faire souffrir plus de bien encore Le monde n’a jamais perdu tout à fait une certaine odeur de sang et de torture, (Nietzche). 

Le crime est une volupté comme une autre (Flaubert)  La volupté mène à la férocité  (Balzac).

 Le corps est comparable à une phrase qui nous inviterait à la désarticuler pour que se recomposent à travers une série d’anagrammes sans fin, ses véritables contenus (Hans Belmer) 

...ou Delacroix disant ceci  les hommes sont des tigres et des loups animés les uns contre les autres pour s’entre-détruire. extrait de son Journal du 15 mars 1853 où il disait encore et ceci qui pourrait résumer l’expo :  Comment ce monde si beau renferme-t-il tant d’horreurs !


J’ai donc poursuivi  ma visite en délaissant cette histoire  d’influence sadienne  jamais démontrée pour m’imprégner de ce contexte et me  concentrer sur les scènes bien plus humaines que surréalistes ou fictionnelles.  Voilà finalement  ce qu’est  Sade,  cet athée forcené  ne scandalisait que parce qu’il écrivait ce qu’il fallait taire et avait pourtant  toujours secoué le cœur des hommes depuis la nuit des temps : l’homme est un loup pour l’homme et encore plus pour la femme, l’homme aime se vautrer dans les excès et la déraison, le désir s’épanouit dans les interdits, la volupté se nourrit de cruauté, l’érotisation du monde ne se fabrique qu’avec passion et obsession, la chair n'est en fusion qu'avec l'esprit étroitement connecté,  la nuit fascine plus que le jour....N'avons-nous pas tous quelque chose de sadien enfouis en nous ?   


Il est vrai que si la censure a frappé nombre de peintres pour leurs œuvres décrivant les sévices ou  les extases les plus cruelles, elle a été bien plus clémente que celle condamnant les livres de  Sade. L’athéisme de Sade a pesé lourd dans les sentences , il n’a cessé de dénoncer le besoin de servitude et  la soumission des hommes qui avaient la foi, et la dimension politique des écrits de Sade ne doit pas nous échapper : Je voudrais que tous les hommes eussent chez eux, au lieu de ces meubles de fantaisie qui ne produisent pas une seule idée, je voudrais, dis-je, qu’ils eussent une espèce d’arbre en relief, sur chaque branche duquel serait écrit le  nom d’un vice, en observant de commencer par le plus mince travers, et arrivant ainsi en gradation jusqu’au crime né de l’oubli de ses premiers devoirs. Un tel tableau moral n’aurait-il pas son utilité ?  (Sade, Aline et Valcours 1798).


Un encart nous rappelle que ce que l’on ne pardonnait pas à Sade, on l’acceptait de Goya ou de Géricault ou Delacroix.  Pourquoi  la littérature  sadienne, miroir d’une certaine réalité humaine serait-elle  plus inacceptable  qu’un même regard  version picturale ? Voilà sans doute le fil rouge de cette exposition…en tous cas il est plus visible que l'influence de Sade sur les peintres, sans nier qu'elle ait pu même inconsciemment exister, personne ne sait s'ils étaient adeptes de sa littérature.


Un mot sur la façon dont  chaque recension, émission de télé ou radio introduisent cette expo, des petites phrases évoquant le côté salace ou sulfureux de cet enfer, univers  cruel et impitoyable. Pour en en finir avec une hypocrisie qui finit par être plus indécente que l’indécence elle-même,  je pose la question :  qu’y a-t-il  de scandaleux, de dérangeant, de perturbant dans ces tableaux explicites exposés, ces postures violentes, ces désirs exacerbés affranchis de toute raison ?  Notre bonne société frémit rien que d’y penser alors qu’elle  baigne au quotidien dans la violence et se repaît d’images bouleversantes  aux Journaux télévisés du soir sans même avoir l’appétit  coupé .Les décapitations,  Les  femmes et petites filles violentées en Syrie, en Afrique, devant leurs parents, les frères et pères que l’on obligent à violer leurs sœurs et filles, les tortures infligées dans les pays en guerre, les scenarios des séries télévisées ou des jeux videos qui rivalisent d’imagination pour décrire des scènes gores et violentes, des tortures inimaginables, les faits divers qui valident que l’homme et la femme et même les ados  ne sont que des tigres et des loups….tout cela n’agite pas le fleuve tranquille de notre  quotidien qui ronronne et  ne se trouble plus que pour faire mine de s'effaroucher pour des peintures qui montrent des crimes et des sexes en gros plan. Bonnes âmes rendormez-vous en paix et laissez l’esprit sadien œuvrer en coulisse, il a de beaux jours devant lui.


Ceci dit,  malgré la promesse non tenue de l’exposition, ( les historiens de l'art auront leur mot à dire sans doute)   j’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir ces œuvres miroirs qui célèbrent ensemble  le  côté pile de l’homme, car la démesure sadienne est  bien humaine. Cette confrontation de l'écrit au tableau interroge aussi la façon dont on peut recevoir une création littéraire, et plastique, sur un même thème.


Anne Bert


Exposition Sade, Attaquer le soleil.

14 octobre 2014 - 25 janvier 2015

Musée d'Orsay

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1 commentaire

Voici des réflexions très pertinentes de la part d'une artiste de la parole. Pour connaître la perspective de l'Histoire de l'Art, on lira le bel article de Didier Rykner paru dans la Tribune de l'Art.