La seule exactitude d'Alain Finkelkraut

« On a, bien sûr, besoin de comprendre pour agir, mais comprendre la réalité présente, ce n’est pas la faire entrer dans la camisole du concept, c’est l’aborder sans garde-fou ; ce n’est pas la mettre aux normes, c’est répondre aux questions qu’elle pose et aux avertissements qu’elle envoie. “Il ne dépend pas de nous que l’événement se déclenche, mais il dépend de nous d’y faire face“ : voilà pour Péguy le principal enseignement de l’Affaire. »

 

Composé comme un carnet de réflexions qui s’égrainent au fil du temps de janvier 2013 à juin 2015, en réaction à l’actualité la plus immédiate et la plus contraire à sa vision du monde, Alain Finkelkraut constate la marche du monde et fixe son intelligence et sa grande culture sur les points de gangrénisation du temps présent. Au déroulé sombre des méfaits de l'homme sur son prochain, il propose un travail sur l'Histoire — dont certains font table rase pour éviter de faire cet effort de compréhension... — et sur ces désolantes anecdotes qui font le lot quotidien de tout citoyen. 


« Mais, travaillant selon la recommandation de Péguy “dans les lisères du présent”, je ne suis pas libre de choisir mes sujets, ils s’imposent à moi en forçant ma porte. »


Finkelkraut se pose en ironique contempteur des idées fausses et néfastes à la bonne marche de l’humanité pour dénoncer le fait que, notamment depuis Auwschitz, la notion de race a été pervertie et qu’il n’est plus possible aujourd’hui de se prévaloir de son histoire et de son héritage, comme dans ce vers emblématique du Cid de Corneille « Je rendrai mon sang pur comme je l’ai reçu », de l’héritage de Péguy, de Bernanos, de De Gaulle (« Plus nous avons de passé derrière nous, plus il nous faut le défendre ainsi, le garder pur »), de Barrès, et éviter de faire de ces phares de l’Histoire de France les épouvantails d’un autre temps, le nôtre, décalé dans une ipséité où les moralistes abandonnistes et membres actifs du parti de l’Autre veulent réformer le passé pour imposer une image calée sur les mensonges du temps présent.

 

Les thèmes qui sont récurent dans ses interventions sont bien sûr présent, le « dieudonnisme » aussi bien que Médiapart et Edwy Plenel qu’il tacle autant qu’il le peut… mais on trouve aussi d’utiles réflexions sur l’euthanasie, sur  Jean-Marie Le Pen  et ses opposants politiques (« Bref, au moment où Marine Le Pen s’apprête à tuer le père, les antifascistes font tout pour le maintenir en vie. Ces vigilants éprouvent une indicible panique à la perspective d’être un jour orphelin de leur ennemi préféré »), un bel hommage à Philip Roth, à Mandela. 

 

Dans sa belle démonstration d’affection à Heidegger, dont on sait à présent qu’il n’avait pas adhéré au parti nazi par pur opportunisme mais par proximité idéologique, il affirme :

 

« Je n’appartiens pas à la communauté des heideggériens. Certains spécialistes me dénient même la qualité de philosophe, car je ne peux me prévaloir que d’une agrégation de lettres, même pas classiques. Peut-être ont-ils raison. Peut-être ne suis, en cette matière et en toutes les autres, qu’un amateur. Mais cet amateur essaie d’être consciencieux. Il lit patiemment, scrupuleusement, les grands textes de Heidegger, et il a une familiarité déjà ancienne avec l’œuvre d’Emmanuel Levinas. A double titre, et malgré ce deuxième choc que constitue, après la débâcle du ralliement momentané au nazisme, la découverte des Cahiers noirs, je refus e d’accéder, sans autre forme de procès, à l’injonction de Richard Wolin, et de décréter Heidegger infréquentable, ou de lire son œuvre avec les pincettes du dégoût comme un document particulièrement accablant de la vision nationale-socialiste du monde ». Et d’opposer Levinas, qui « considère l’égarement de Heidegger comme un événement philosophique et, remontant, pour en comprendre les implications, jusqu’à l’ontologie fondamentale, il lui oppose une remise en cause, de livre en livre plus radicale, de la primauté de l’être. »

 

Ainsi, Finkelkraut ne nie pas la nécessité de reconsidérer une œuvre philosophique au regard des découvertes politiques concernant son auteur, mais il impose une lucidité stricte et repousse les commissaires de la pensée staliniens qui voudraient de toute force imposer une vérité politique du moment sur l’ensemble des faits historiques passés. La seule exactitude est celle des faits et de la contemporanéité des jugements sur ces faits. « Notre présent est bovaryste : il se conçoit autre qu’il n’est. Il se raconte des histoires et, quand l’occasion lui est enfin donnée de se regarder en face, Le Monde et les “Guignols de l’Infos” s’emploient à ce qu’il n’en fasse rien. […] Remettre du présent dans le présent, telle est la tâche prioritaire de la pensée. »

 

Tout cela fait-il entrer Finkelkraut dans le camp de la « réaction » ?  S’il défend Heidegger, s’il défend les valeurs traditionnelles de la Patrie, s’il défend une vieille idée de la culture, ce n’est pas pour s’opposer aux Autres mais pour opposer au « parti de l’Autre » — qui favorise l’autre au dépend de son prochain, le « Même » — une Histoire qui a fait la grandeur de la France. Avec facilité, des esprits simplificateurs et dogmatiques classeront ce livres dans la « mouvance Zemour » de la « France rance », ils oublieront bien exprès pour ce faire que si la France telle qu’ils l’aiment est ouverte et généreuse, forte et grande, c’est qu’elle l’est non pas ex nihilo mais à partir d’une grande Histoire, et qu’à vouloir nier les vérités historiques pour imposer à toutes forces et à toute vitesse, un nouveau modèle de société, le risque est surtout qu’il ne reste plus rien. 

 

Loïc Di Stefano

 

Alain Finkelkraut, La Seule exactitude, Stock, 296 pages, 19,50 eur

1 commentaire

Hhhfss

"si la France telle qu’ils l’aiment est ouverte et généreuse, forte et grande, c’est qu’elle l’est non pas ex nihilo mais à partir d’une grande Histoire, et qu’à vouloir nier les vérités historiques pour imposer à toutes forces et à toute vitesse, un nouveau modèle de société, le risque est surtout qu’il ne reste plus rien. "

Que de contorsions pour promouvoir la xénophobie finkelkrautarde. L'histoire ne fait pas marche arriere. La population francaise continue a s'enrichir de changements, comme elle l'a toujours fait - jadis c'était les Picards, puis les Bretons ; maintenant ce sont les Maghrébins.

L'histoire ne fait pas marche arriere, ceux qui refusent le changement sont voués a une amertume inutile et délétere, tel ce triste monsieur dont on parle décidément beaucoup trop.