Le Sexe Gourmand, une expérience de l'écriture érotique
Cela dit, la nouvelle suivante intitulée Mina, joliment érotique, m’a pourtant encouragée à poursuivre. L’écriture change soudainement, et en bien. Mina, jeune collègue mariée, inaccessible, met en émoi la narratrice, la description de l’objet de son trouble est à la fois fragile et précise comme peut l’être une attirance entre femmes peu accoutumées à l’homosexualité [...je rêve du parfum de ta culotte…je t’écrirais des lettres enflammées et je disparaitrais tout le jour, ne répondant pas à tes appels…mais la nuit venue je troublerais ton sommeil…j’empoignerais tes seins comme on saisit une poignée de porte qui résiste…]
Ce n’est qu’au chapitre suivant, Pin-up, que je commence à subodorer ce qui anime Aline Tosca, impression confirmée dans le dernier texte Epilogue qui aurait d’ailleurs pu être placé en préambule.
C’est flagrant : Aline Tosca ne dissocie pas
l’expérience de l’érotisme de celle de l’écriture. Elle explore l’intime, les corps, le désir comme elle explore l’écriture, à bras le corps, traquant la tension, la musique, le rythme.
Il m’est venu, page 41 puis page 49, un nom d’écrivain à l’esprit, celui de Marguerite Duras…Bien sûr je ne compare pas Aline Tosca à cet écrivain de grand talent, non, mais je reconnais dans sa façon de dire, d’écrire, des similitudes, un phrasé, une tension. D’ailleurs, j’avais bien deviné puisqu’elle la cite dans le dernier texte du recueil où elle avoue son admiration pour cet auteur.
L’expérience littéraire et érotique que mène Aline Tosca en écrivant Le Sexe Gourmand se distingue des productions érotiques récentes. C’est fort intéressant et excitant. Mais elle doit encore s’affranchir du modèle durassien, trouver sa propre voix et je gage que cela viendra bien vite, quand Aline Tosca ne pensera plus à travailler son style mais se laissera mener rien que par les mots et les émotions attrapés dans son filet à papillons.
Page 49, Chambre 100 : […Il prend. La bouche, la langue. Il met. Les mains dans mes cheveux…] ..[ Parce qu’il me voit, là, il peut juger sur pièce, ça dépasse les mots et ça dépasse la voix. Il me voit et dedans aussi, il peut scruter…]..[ ..Je suis là parce qu’à l’origine il y a la littérature.]..[les capitons, quand la jupe cintrée est à terre, ça la fout mal…] Ses mots sont simples mais puissants, ils ont une force propre, sans souci de construire des phrases correctes ou jolies parce que la rigueur grammaticale et l’esthétique parfois font mentir les mots ordonnés. L’érotisme, les ressentis, les pulsions, le désir sont un désordre, ils ne s’accommodent pas toujours des normes, des carcans, des convenances, ce sont des élans, des touches impressionnistes. Ainsi Tea time , audacieux, l’air de rien, avec une grâce économe de moyens met en scène la narratrice/auteure qui s’offre au père des camarades de ses enfants qui jouent ensemble au jardin à quelques mètres, dans le lit conjugal de l’homme un peu effaré de faire ça là, dans le sacré de la chambre maritale.
Dans quasiment toutes ses nouvelles, Aline Tosca entretient un rapport ambigu entre la narratrice et ses personnages, mettant le lecteur en position de voyeur, voyeur textuel, le tenant par ce fait un peu à l’écart. Cette technique narrative est malgré tout une posture érotique. Il, elle, je, tu alternent, rythment de façon presque poétique les scènes d’approches et d’étreintes. Les corps, les sexes ne sont érotiques que par le regard que pose la narratrice sur eux.
Bref, pour un coup d’essai, même si le début du recueil est à mes yeux passable, je trouve ce Sexe gourmand très prometteur !
Anne Bert
Le sexe gourmand, éditions Terriciaë , janvier 2013 , 127 pages, 12 euros
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