Amélie Adamo & Anya Belyat-Giunta : peaux fuyantes

   


Amélie Adamo & Anya Belyat-Giunta reprennent la question - récurrente en art et littérature - de l’identité. Elles la déconstruisent en œuvre de salubrité publique par l'humour l'érotisme et dans les cheminements, croisements, frottements des divers champs de langue. Jaillissent  les masques que la femme endosse. Ils sont moins là pour cacher le marbre supposée de l’identité (puisque en lieu et place  sous une peau s’en cache une autre ) que pour proposer les éléments d’une réalité empirique transposée, décomposée et reconstruite selon la propre loi des deux démones.

 

Dès lors aux questions « Est-ce moi qui l’imite ? / Est-ce le soleil en moi ?/ Suis-je sur elle robe de glace ? Laquelle vraie ? Laquelle ment ? » le miroir de l’art et du poème offre moins une image qu’un « mille fleurs » éparpillé dans les zéphyrs des pages. Elles deviennent  l’antre d’une féminité féline  que le mâle croit deviner dès qu’il y est engagé.  Mais c’est une vue de l’esprit : la poupée russe est une ruse. Elle  reste  l'intruse mythique (pour elle comme pour les autres) tant sa complexité est grande. Ce qui n’enlève en rien ses possibilités de jouissance : Anya Belyat-Guinta en donne divers états en montrant ce qui ne peut se dire. Le livre devient un jeu aussi spontané que réfléchi : l’Eve slave, en rien esclave, acquiert un pouvoir fantastique jusque dans ce qui lui échappe. Preuve qu’on n’est à personne. Pas même à soi. Ce qui n’empêche pas au discours et aux images de se poursuivre.


« Poupée rus(s)e »  prouve que l’acte de création,  en ces temps de frustration, est l’un des derniers actes libres qui appartiennent encore à la femme. Il constitue le démenti à la prétendue unité de l’être. Il prouve que la connaissance de soi ne peut renvoyer qu’à une obscurité. Les mots et les images la font saillir de l’inconscient loin  de la pseudo transparence de la raison.


Amélie Adamo et Anya Belyat-Giunta ramènent à la source intérieure de l’être : celle qui n’a pas de fond et ne cherche plus de justification « géophysique » ou spirituelle. Il est donc impérieux de refuser tout hymen avec un tel moi flou pour préférer celui qui se noue à la création. Celle-ci recrée les masque étranges, porteurs de morceaux vérités en obliques échappées. Répondre à la vérité de l’être c’est rappeler qu’elle ne se laisse pas saisir de façon univoque et qu’elle se dérobe selon des postulations dont Baudelaire avait esquissé les voies d’obscure clarté.


Jean-Paul Gavard-Perret


Amélie Adamo & Anya Belyat-Giunta, « Poupée rus(s)e », A/OVER éditions, Paris, 2016.

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