Jean Anouilh, une biographie : la fin du purgatoire ?

"Je n'ai pas de biographe et j'en suis très content". Ainsi s'exprimait Jean Anouilh en 1946. Déclaration désormais frappée d'obsolescence. L'essai d'Anca Visdei, paru en octobre dernier, traduit, on peut l'espérer, un regain d'intérêt pour le dramaturge. Même si une hirondelle ne fait pas le printemps. Préfigure-t-il une sortie plus ou moins imminente du purgatoire ? De quoi se réjouir, certes ! L'avenir le dira.

 

Ce qui est certain, c'est que les ouvrages  - j'entends les ouvrages de quelque consistance - qui lui ont été jusqu'ici consacrés se comptent sur les doigts de la main. Hormis Un auteur et ses personnages que Pol Vandromme publia à La Table Ronde en 1965 et, plus récente, plus copieuse, peut-être plus originale aussi par l'angle d'observation choisi, l'étude de l'américain Efrin Knight La Vision littéraire de Jean Anouilh à travers ses oeuvres (Paperback, 2011), l'auteur de L'Alouette n'a guère suscité, au fil des années, que des articles de revues. Peu nombreux, de surcroît, et parcellaires. Le plus souvent inspirés par le succès de ses pièces. On fait ici exception, bien entendu, de l'édition en Pléiade de son théâtre - mais la Pléiade est parfois un tombeau. Somptueux, certes, mais tombeau tout de même.

 

Le livre d'Anca Visdei est donc particulièrement bien venu puisqu'il vient rompre un silence aussi pesant que prolongé.  Les raisons de ce qui ressemble fort à un ostracisme ? A coup sûr une originalité dérangeante. La lucidité. Des idées non conformes à l'air du temps. Une franchise tout aussi intempestive. Toutes choses qui se pardonnent difficilement. Comme le succès. Comme le talent qui lui a longtemps été dénié. Jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que ce prétendu amuseur inconsistant était un des auteurs dramatiques les plus profonds et les plus subtils de son siècle. Et un écrivain consommé.

 

Anca Visdei l'a bien connu, a entretenu avec lui des rapports d'amitié et de confiance. Au point de le considérer comme son père spirituel. Non seulement elle conserve la mémoire de leurs nombreux entretiens, mais elle a interrogé ceux qui l'ont fréquenté ou côtoyé, comédiens, gens de théâtre, membres de sa famille. Elle a eu accès aux lettres échangées avec de nombreux correspondants, lettres pour la plupart inédites. C'est assez dire que son entreprise n'est pas dépourvue de fondement.

 

Sans doute est-ce sa modestie qui l'incite à sous-titrer son livre "Une biographie", sous-entendant par là qu'elle propose sa propre vision, qui n'est pas unique. Ainsi procédèrent avant elle Kléber Haedens (Une histoire de la littérature française) ou Lucien Rebatet (Une histoire de la musique).

 

On ne saurait toutefois la taxer de complaisance. L'abondance et la diversité des documents utilisés sont garants de son impartialité. Et si elle ignore, à l'évidence, les derniers travaux d'Efrin Knight, à l'exception de sa contribution au recueil En marge du théâtre (La Table Ronde, 2000), elle connaît ceux de Pol Vandromme (qu'elle orthographie à plusieurs reprises "Vendrome", inadvertance vénielle, on en conviendra). Pour le reste, la démarche d'une historienne utilisant au mieux sa documentation. Scrupuleuse. Circonspecte. Analysant chaque pièce avec la subtilité et la justesse que procure l'appartenance au sérail, car l'auteur est elle-même romancière, auteur de théâtre et metteur en scène.

 

Elle nous convie donc à la découverte de l'homme et de son oeuvre, de l'homme à travers son oeuvre. Depuis sa naissance en 1910 jusqu'à sa mort en 1987. Très tôt dévoré par la passion de la scène. Attachant. A la fois modeste et conscient de sa valeur. Se forgeant un caractère à travers des rencontres plus ou moins heureuses, plus ou moins orageuses - Jouvet, Fresnay, Pitoëff, Barsacq. Essuyant des revers sans se décourager, connaissant des triomphes en gardant la tête froide. Doté d'un solide sens de l'humour et d'un don de satiriste dont témoignent, en particulier, ses dernières pièces et les Fables publiées en 1962. Discret, sinon effacé, et cependant brûlant de passion.

 

Tel fut le Jean Anouilh que restitue Anca Visdei, tel qu'il mérite d'être enfin mis à sa juste place. Sa biographe a, assurément, accompli une oeuvre pie qui devrait faire référence. Un outil de travail auquel manque seulement, pour être tout à fait maniable, un index des noms cités. Nul doute que la prochaine édition comblera cette lacune...

 

Jacques Aboucaya

 

Anca Visdei, Jean Anouilh, une biographie. Editions de Fallois, octobre 2012, 398 pages, 22 €


Lire également la critique de Stéphanie des Horts.

1 commentaire

Je vous remercie de ce bel article et de cette lecture sensible, attentive, empathique et intelligente. Et votre style est beau et naturel. En accord avec le sujet de la biographie. Merci, Anca Visdei

www.ancavisdei.om