André Beucler – Léon-Paul Fargue, Correspondance 1927-1945 : Des lettres qui transpirent l’amitié

Pas facile de faire bouillir la marmite quand on est écrivain professionnel ! Surtout quand on est poète, esthète sans concessions. La correspondance Beucler-Fargue est un délice d’amitié tendre. André Beucler (1898-1985), l’auteur de Gueule d’amour, a vingt-deux ans de moins que son correspondant, l’auteur du Piéton de Paris, Léon-Paul Fargue (1876-1947). Qu’à cela ne tienne : une fantaisie lie les deux écrivains qui se sont rencontrés dans le bureau de Gaston Gallimard en 1924. Léon-Paul tire le diable par la queue, mendiant les services de la radiodiffusion pour attraper un peu de fric, plaçant ici ou là des chroniques savoureuses contre une kyrielle de repas chauds, s’invitant sur la Côte entre deux rayons de soleil d’occasion. Le recueil témoigne, entre autres, du foisonnement de la vie culturelle d’une époque où les relations littéraires permettaient de gommer  certains tracas ordinaires.

 

L’exposition internationale de 1937 bat son plein. Fargue rend compte d’une visite aux pavillons qu’on installe : Tout est encore à ras de terre, excepté les Allemands qui ont déjà deux étages et un kilomètre de crocodiles d’acier terribles. [...] J’ai un laissez-passer. On boule dès l’entrée dans cinquante centimètres de boue, de conduits, de tripes prétentieuses et de fils de fer. On ne peut s’empêcher de penser à d’autres visites restées célèbres dans l’Histoire... Le rivage méditerranéen inspire la métaphore lumineuse à “Léopion”, qui savoure une joie de vivre chapardée dans le dos de la mouise : Toulon, la digue, les maisons étroites, incurvées comme une tranche de Chester, les spatules reptiliennes de la mer qui a le cœur gros au bout des ruelles. Les filles de Saint-Tropez (Brigitte Bardot et les starlettes du chaud-bize ne sont pas encore en terrasse) suscitent ce commentaire sensuel digne de Colette : Il y a ici de belles filles couleur d’amande grillée, de cuisses pur caraque, gonflées comme des crosses de cacao, des filles de cinéma qui jouissent de l’arrière-saison. On salive après coup...

 

La guerre déroule ensuite ses bandes grises, sur une grande largeur. Beucler, de son côté, n’est pas au mieux entre ses ennuis de santé et la difficulté de se ravitailler en argent frais. Giraudoux décède : les deux amis accusent le coup. Beucler, philosophe : En parlerions-nous pendant mille ans que cela ne changerait rien. Et il faut durer. Je voudrais bien être avec toi, avec Lestringuez, les amis, pour avoir moins froid. Il est question de cela, justement, dans ces lettres justes et vraies comme l’amitié : avoir moins froid, en attendant des jours meilleurs.

 

On se prend à regretter l’époque où, loin des sms et autres pollutions sonores des hommes-cabines téléphoniques, l’amitié passait par l’écrit, avec une cette sincérité et cette poésie quotidienne. On relira avec profit le magnifique Dimanche avec Léon-Paul Fargue (Le temps qu’il fait, 1997) d’André Beucler, dont la quatrième de couverture est un manifeste : L’éternité est à la disposition du premier venu. Nous avons le temps. Nous bavardons et nous rêvons. Nous rêvons que nous bavardons... On ne saurait mieux qualifier cette amitié des lettres. 

         

Frédéric Chef 

 

André Beucler-Léon Paul Fargue, Correspondance 1927-1945, Presses universitaires de Paris Ouest, édition établie et annotée par Bruno Curatolo, mars 2014, 132 pages, 17 €
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