André Blanchard, A la demande générale : Vertus et délices de la chronique

On ne dira jamais assez le mérite des diaristes. Des chroniqueurs. Des mémorialistes. De ceux qui prennent la peine de consigner, quasiment au jour le jour, les événements de leur vie. Leurs découvertes et leurs émois. Leurs sentiments sur le monde comme il va. Ce qu'ils ont vu, lu et entendu. Leurs témoignages, fussent-ils empreints de partialité, sont mieux qu'intéressants : précieux. A condition, bien entendu, qu'ils sachent observer. Et que la littérature y trouve son compte.

 

Ainsi, c'est grâce à Joinville et à ses anecdotes que Saint Louis nous est aussi familier. Sans le Journal d'un bourgeois de Paris, que saurait-on, de façon concrète, au quotidien, des règnes de Charles VI et de Charles VII ? Et, pour continuer dans les exemples historiques, des démêlés entre Henri de Navarre, futur Henri IV, et le duc de Mayenne, chef de la Ligue, si la Satire Ménippée ne nous permettait d'en suivre, quasiment de l'intérieur, les rebondissements ? De tels écrits sont indispensables à l'Histoire. Ils en tempèrent l'aridité, la rendent aimable. Elle offre le squelette, ils fournissent la chair.

 

Voilà pourquoi, si l'on veut se faire une juste idée des joies que peut réserver la lecture, celle des livres actuels comme des livres du passé, ou, plus généralement, du climat intellectuel et artistique de notre temps, on se plongera dans les Carnets d'André Blanchard. A la demande générale en est le huitième volume et couvre la période 2009-2011. Comme dans les précédents, on y échappe, Dieu merci, au parisianisme. Pour la bonne et simple raison que Blanchard vit en province. A Vesoul, où il s'occupe d'une galerie d'art. Ce qui lui laisse des loisirs et garantit la neutralité de son regard - j'allais écrire l'innocence, et le terme n'eût pas été usurpé.

 

Cette innocence le met à l'abri des modes qui sévissent   en tous domaines, de plus en plus contraignantes, de plus en plus éphémères. Elles lui en épargnent la dictature. Le préservent du fléau de la pensée unique. C'est un franc-tireur. Il porte sur la littérature, celle de notre époque, mais aussi celle des siècles passés qu'il rencontre au hasard de ses trouvailles, un regard dépourvu de préjugés. Comme sa sensibilité est vive et son humour toujours aux aguets (ce qui, par parenthèse, suffirait à le différencier des critiques patentés), ses chroniques, datées parfois de façon aléatoire, "au petit bonheur du calendrier", sont toujours, par quelque côté, attachantes. Mieux, piquantes. Le lecteur revit à travers elles ce qu'il a lui-même connu, ou traversé, de façon différente. Avec, au détour de quelques pages, des surprises et des découvertes.

 

Nul n'est obligé, naturellement, de partager toutes ses dilections, ni ses aversions - encore que, sur l'époque contemporaine, ses leurres et ses aberrations, on se trouve plutôt de sa paroisse. Il adore Stendhal, se passionne pour Proust. Prise fort les chroniques de télévision de Mauriac, dont la plume souvent acerbe nourrit avec la sienne un lointain cousinage. Il défend bec et ongles Barrès et Montherlant, au risque (assumé) de passer pour réactionnaire. Et aussi la langue française, jetant l'anathème sur ceux qui ont l'outrecuidance de l'estropier. On voit par là qu'il se soucie peu d'être dans le vent.

 

Il est tendre et caustique, drôle, ironique. Subtil. Cultivé. Sensible aussi ("enterrer un chat ne remue pas que de la terre"). Avec cela, plus profond qu'il n'y paraît de prime abord. La littérature lui est à la fois refuge et panacée contre les maux qui l'accablent, sinusite ou impécuniosité. Contre l'air vicié du temps, les malheurs de l'époque, sur laquelle il se garde de s'appesantir mais dont les sourdes rumeurs trouvent chez lui un écho. Et puis, probablement l'essentiel : André Blanchard est un véritable écrivain. Son style a la légèreté du primesaut. Il sait l'art du naturel. Ce pourquoi il restera, en dépit de toutes les modes.

 

Jacques Aboucaya

 

André Blanchard, A la demande générale, Le Dilettante, mai 2013, 256 pages, 18 €

 

» Lire la critique de Marc Villemain.

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