L’intégrale érotique de Pierre Louÿs : obsédé sexuel et poète

Une des œuvres les plus importantes du début du XXe siècle parvient au jour – enfin. Des lecteurs curieux et des lectrices avides d'expérimentations nouvelles vont pouvoir lire les livres nombreux de Pierre Louÿs (1870 – 1925), connu pour son immense érudition et pour Les Aventures du roi Pausole ainsi que, bien entendu, Les Chansons de Bilitis, lesquelles ont ravi les grands illustrateurs des années 1920-1930, heureux d'esquisser des corps nus, délicats, tendus dans une jouissance discrète (rappelons ici un mot ancien, qui rime avec plaisir : soupir). Les grands dessinateurs du XXe siècle, d'Alex Barbier à Paul-Émile Bécat, ainsi que la sublime et trop oubliée Mariette Lydis, doivent beaucoup à ces grands écrivains de la sensualité que furent Raymond Radiguet, Pierre Loti, Pierre Louÿs et quelques autres.

 

Aujourd'hui, les éditions Robert Laffont nous proposent non pas quelques miettes ou amuse-gueules de Louÿs, mais bel et bien le plat de résistance : car si autrefois certains ont publié Pybrac, voire Trois filles de leur mère, c'est désormais l'ensemble des écrits érotiques de Louÿs qui nous parviennent, préfacés par l'excellent chercheur qu'est Jean-Paul Goujon.

 

On n'ose croire à pareille aubaine. Tous les textes les plus secrets, les plus terriblement obscènes, les plus ravageurs et anticonformistes du début du XXe siècle se trouvent là : innombrables poèmes coquins ou pornographiques, répertoire des prostituées de Paris, fictions, brefs romans, nouvelles, « Manuel de Civilité à l'usage des petites filles », ouvrages de prescriptions aussi scandaleuses que diverses... On entrevoit enfin que Louÿs était certainement un obsédé sexuel, mais aussi un grand savant, et un poète.

 

Bien sûr, il n'est guère facile de choisir dans ce millier de pages. On n'ose reproduire ici certains textes, craignant d'inciter la lectrice et le lecteur à ne les lire « que d'une main », comme disait Barbey d'Aurevilly. Plus proche de Diderot ou de Fougeret de Monbron que du marquis de Sade, Louÿs est insolent parfois, mais toujours taquin, délicat, provocateur et, faut-il le dire, tendre :

 

« Cependant, près du lit, la bonne se dégrafe,

Laisse tomber sa cotte et garde son bonnet ;

Sur la table de nuit un petit phonographe

Ânonne impunément un air d'estaminet. »

 

Ainsi, la lectrice égarée connaîtra les Chansons secrètes de Bilitis, en sus des Chansons déjà lues ; le lecteur solitaire s'amusera de l'anglais parfait de l'auteur, dans Toinon. Mais surtout, insistons : on sera surpris de découvrir une œuvre intégrale qui captive, et n'ennuie jamais.

 

Bertrand du Chambon

 

Pierre Louÿs, Œuvre érotique, Robert Laffont, coll. « Bouqins », avril 2012, 1088 pages, 30 €

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