La belle image iconoclaste

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (Stig Dagerman)


Arnaud Rikner ne sait pas mettre de mots précis sur ce qui secoue les consciences, c’est le propos du livre mais ce texte, par contre sait  dire la peur, le non sens, le cheminement de la colère jusqu’aux  aux frontières de la folie, cette folie nécessaire pour sortir de l’acceptation de l’inacceptable.

 

C’est un livre qui louvoie sur le parcours d’une colère qui sourd dans le cœur et l’esprit  de deux hommes qui font un bout de chemin ensemble par lettres interposées. 


L’un sort de prison, l’autre est son correspondant  pour des raisons qui doivent tout au hasard, le prisonnier qui est prof cherchait durant sa détention un directeur de thèse littéraire, le narrateur s’est retrouvé par hasard avec sa lettre entre les mains, il y donne suite et les deux hommes, pour d’autres raisons obscures  qu’ils cherchent à identifier,  ne se lâchent plus lorsque la libération arrive.  


La correspondance se poursuit. Une correspondance ambiguë, au-delà de sa définition épistolaire. Ils se correspondent…mais comment, pourquoi, où est la vérité dans cette paire constituée et y en a t-il seulement une ?


La libération  n’en est pas une. Un prisonnier reste marqué à vie du sceau de l’infamie, il paie sa dette envers la société mais celle-ci, lorsqu’elle lui ouvre les grilles veut qu’il reste encore  hors de la vie. Les deux hommes attentent la décision  de la commission disciplinaire du rectorat pour savoir s’il sera  radié ou pas  du corps professoral ;  c’est l’unité de temps du texte, cette attente.  Les coefficients multiplicateurs de la peine purgée n’en finissent pas de grandir et pourtant la loi l’interdit.


On ne sait  lequel soutient l’autre, lequel est détenu. Il y a des enfermements intérieurs. Le narrateur ne veut pas s’indigner sur le sort réservé à cet homme parce que l’indignation c’est juste flatteur,  rassurant, [ je ne veux pas m'indigner pour m'admirer de m'indigner. Pour me flatter de n'être pas tout à fait mauvais, pas tout à fait insensible, au bourreau comme à la victime. ] p. 27. Il n’est pas un bon samaritain, loin de là, il y a une juste une résonance en lui, et il veut aller jusqu’au bout de ce qui s’est mis en marche.


Dans leurs courriers, les protagonistes esquissent leurs troubles, leurs émotions, leurs espoirs mais toujours  sur le mode interrogatif, ils se questionnent en donnant au silence le prix des mots censés donner réponse.


Le prisonnier, à sa libération, accompagne son père mourant. La relation de silence entre le père toujours aimant et le fils est faite de quelques mots et pourtant tout est dit,  si riche,  si fort.   Le taulard (il sera toujours un ex quelque chose, un ex taulard, un ex prof, il ne fait plus partie du monde présent) réalise que la carapace qu’il s’est construite pour résister à l’enfermement et à ses dangers ne lui sert à rien dehors, au contraire, le dessert même. L’homme libéré  est un papillon qui se cogne contre les murs alors que les portes sont ouvertes. Ce n’est pas lui qui veut cela, c’est la société, les gens qu’il rencontre, malgré leurs tentatives d’être gentils du bout des lèvres.


Le narrateur ne sait pas trop pourquoi il répond encore aux lettres de cet homme libéré, sinon parce qu’il veut l’aider à résister au rouleau compresseur de la destruction de l’homme par l’administration. Ça va au-delà de ça.  L’homme l’a ébranlé, bousculé dans ses certitudes, c’était peut-être la voix qu’il attendait pour se mettre en marche. [Est-ce moi qui crie à l'aide à travers lui ? ]p.35.  Il espère ne pas faire partie des voyeurs, des badauds fascinés par malheur des autres, il vomit la compassion nombriliste.


Il va en faire un livre, il lui dit d’écrire encore, d’écrire toujours. Les lettres que l'homme lui envoie creusent en lui jusqu’à déterrer ce qui le terrifie depuis toujours, la peur débusquée, il doit en faire quelque chose,  alors il en fait de la colère et cette colère monte comme de la levure de boulanger dans une bonne pâte, ça gonfle et ça déborde du moule. Justement le moule…


En note liminaire du livre, le narrateur dit :  

J’ai longtemps vécu dans la peur, une peur incertaine, impossible à combattre, parce que sans lieu, sans forme, sans visage……

Et je me dis que je l’ai trouvée – et que du coup je n’ai plus peur.

A la peur a succédé la colère

J’ai donné un corps à ma révolte.

Je ne veux plus accepter, plus me résigner. Je veux garder ma colère intacte.

 

La belle image ne laissera personne indifférent, ce livre dérangeant restera en mémoire de certains et sera détesté par d’autres. 


Anne Bert


La belle image, Arnaud Rykner - 2013 - Edition La Brune au Rouergue - 141 pages - 15,50 €

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