La Nouvelle-Orléans, cocktails au bord du Mississippi

Annoncés dès la couverture comme une ouverture en fanfare, on entend au fil de ce livre des airs de jazz qui vont s’amplifiant. Des souvenirs reviennent, à la cadence des orchestres qui les jouent dans la rue ou les cafés et donnent à La Nouvelle-Orléans ses rythmes et ses couleurs sonores. On dirait bien que le jazz traverse le temps sans prendre de ride, c'est-à-dire sans perdre sa mélodie particulière qui se loge dans la mémoire de chacun et unit les générations entre elles. Les plus anciennes ont écouté Jelly Roll Morton, Sydney Bechet, l’impérissable Louis Armstrong, l’extraordinaire Fats Domino, Mahalia Jackson à la voix émouvante. Les jeunes écoutent Lightnin’ Hopkins, Troy Andrews, que l’on connaît plus sous son nom de scène de Trombone Shorty, ou le Rebirth Brass Band. Une photo aux couleurs fluo, électriques, dynamiques, répercutent les accents cuivrés des  instruments des interprètes.

 

De part et d’autre des vastes boucles du Mississippi, arrondie, lovée, N’Awlins étend son immense quadrillage que les avenues coupent en plaques, en dés, en carrés. Les quais, les avenues, les lignes du tramway sont les fils qui l’irriguent. L’histoire de la ville s’identifie avec celle de la Louisiane. L’Europe est passée plusieurs fois sur cette terre pionnière, elle a laissé des marques visibles que rien n’efface. La résumer serait risquer des erreurs et ne pas assez citer les habitants originels qui vivaient sur le continent américain, les Amérindiens d’avant la colonisation. On les oublie parfois. Le guide est ici le temps de la joie de vivre, des fêtes, de l’existence « easy », comprenez doublement facile. Du moins pour le touriste. Une traversée du fleuve à bord d’un ancien bateau à aubes l’en convaincra. Son nom : Natchez. Quoi de plus évocateur ?   

 

Les Français installent à la fin du XVIIème siècle le premier comptoir. Ensuite, les Anglais prennent une partie du territoire, l’autre revient aux Espagnols qui la repassent à Napoléon qui la vend aux Etats-Unis. C’est cet héritage mêlé de coutumes, de savoirs, d’espoirs et de langues diverses qui composent la mosaïque et cette quête d’harmonie, un mot qui donne le ton à tous les niveaux. « A La Nouvelle-Orléans, nous enterrons nos morts au-dessus du sol. Ils marchent toujours parmi nous…Cette musique s’achève toujours en joie ». Aux oreilles et surtout au cœur, toutes les musiques chantent ce long chemin de la conquête de soi d’une ville qui préserve ce patrimoine comme un témoignage. Soul music, Blues, Gospel, lors  des festivals, du Mardi Gras et des parades, dans les clubs, jusque dans les maisons aux balcons fleuris et en ferronnerie ouvragée, on swing, on danse, on boit, on mange, on se rappelle que les Caraïbes sont proches, que la mer offre ses richesses, la nature les siennes. Ella Brennan, restauratrice, dit sérieusement que « dans certains endroits, on mange pour vivre ; dans notre ville, on vit pour manger ».

 

A côté des événements musicaux, après le chapitre consacré « au mélange enivrant de créole, de cajun et de catholique », le lecteur a le plaisir de trouver quelques savoureuses recettes, un répertoire d’adresses utiles et des idées de cocktails pour que son séjour le garde éveillé. Il y a en musique, sur les partitions ou pour les improvisations, des règles à suivre. Dans le domaine des boissons, existent aussi des rituels faute de quoi la magie se perd. Le cocktail est une institution, comme le serait ailleurs la justice ou la religion. A La Nouvelle-Orléans, où le climat règne en seigneur imprévisible et irascible, une main anonyme a écrit le graffiti suivant : « Nous ne fuyons pas les ouragans, nous les buvons ». Un léger vertige après un verre de ramos gin fizz ?    

 

Rédigé par une authentique Sudiste, cet ouvrage poursuit la série consacrée aux villes de légendes, perles qui unissent les ingrédients les plus détonants, culture, détente, beauté, art,  opulence. Fervente de jazz, parlant français, versée dans l’esthétique, vivant entre New York et le Vieux Carré où elle possède sa maison, Debra Shriver raconte de l’intérieur cette ville tropicale et sert un cocktail bien divertissant.

 

Dominique Vergnon

 

Debra Shriver La légende de La Nouvelle-Orléans Assouline, 19x26 cm, 143 pages, 2012 42 euros

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