Les malaises enchantés de Mirka Lugosi : la fée et ses mirages

Née pas très loin du château de Dracula Mirka Lugosi doit au personnage « mythique » toute la périphérie fantasmatique de son imaginaire. Prêtresse sulfureuse underground des années 80, elle fut une figure incontournable de la scène fétichiste et membre du groupe expérimental noisy « le Syndicat ». Elle publia pour de nombreux magazines avec le photographe Gilles Berquet dont elle est le modèle, la muse et la compagne. « Peintre d’images » comme elle aime se désigner elle pratique la gouache, les encres sur photographies, les vidéogrammes et l’illustration mais ses dessins restent la partie majeure de son œuvre. L’artiste cultive un trait précis qui demande des jours de travail : êtres humains, animaux, objets y fusionnent dans un univers surréaliste où l’érotisme prend un sens particulier. La vie y est vouée à la mort selon une perspective néo-gothique et tout rêve contient en lui-même sa propre fin.


Mirka Lugoisi les saisit dans leur moire, en suivant leur allure infernale jusqu'à ce qu'ils la rejettent sur la grève, leur cyclone allant mourir ailleurs. L’artiste sitôt ce rêve fini en fomente un autre afin de traverser à sec le désert du réel où nulle eau buvable ne filtre. Les puits sont taris, la terre se crevasse. C'est à nouveau la mort dans le monde réel dont l’artiste n’a que faire, dont elle a plus qu'assez. Tel est le combat que l’artiste livre jusqu'à ce que la nuée se dissipe et que la marée du dessin en terrasse les miasmes par sa transe tandis qu’on imagine en fond sonore l’"Electric Ladyland" d’Hendrix.


Par brisure et fusion toute une célébration mythologique a lieu vers un crépuscule immobile. L’artiste chaque fois invente un corps polymorphe offert et ouvert. Il s'unit au pollen et au vent, faisant son miel des rêves de l’artiste et de la maison de son cerveau. Pointe-claire, rivages, lueur des mystères de temps immémoriaux,  sabliers, mantes religieuses (très peu), chapes de nuit, traces d'aube, mutations, roue des jours, trou d'oubli, ambre des nuits possibles. Chaque œuvre possède un feu qui soulage le silence de mort. Ici est le lieu. Plus de fin à ce voyage aux confins. Pluie en rayures obliques, régulières et drues. La. vie reste sans lien mais avec trop de chaînes. Néanmoins leurs caries diminuent et le réel s'évapore fondue dans des paysages oniriques de l’artiste : on en reste  délicieusement inconsolable dans un univers parcouru par les mouvements convulsifs des êtres chimériques.

 

Jean-Paul Gavard-Perret 


L’artiste est représentée par la galerie Air de Paris, Paris.

"Les heures bleues", Villa Beatrix Enea, Anglet, 2013.

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