Rodia Bayginot : portrait de l'artiste en "griotte"

 



 

 

« Les haut-perché-e-s »  provoquent  par leur altitude  un effet d’abîme : « Ce ne peut être que la fin du monde en avançant » aurait dit Rimbaud.  Mais de fait, Rodia Bayginot propose des figures, des mots, des abstractions, des silhouettes vives (autoportraits sublimés ?) en une succession de chutes et de remontée où  l'insaisissable est retenu.  Chaque pièce  rappelle que la vie tue mais que c’est un don. Comme les images elles-mêmes. C’est pourquoi certains monothéismes les craignent. Car donner, vraiment donner, est difficile.  Rodia Bayginot sait le faire en ses monstrations poétiques et joyeuses. Le textile n’y est pas un « habit » et encore moins un linceul.  Chaque pièce crée un début du jour plus que la fin de la nuit.  Ce qui n’enlève donc rien la question : que faire avec un corps ?  Car voici le corps.  Que peut-il faire, que peut-il donner encore, en corps ?  L’art de la créatrice répond car elle ne copie pas la réalité : elle la ravaude mais en même temps la sublime. Elle y ajoute des mots que seule l’image (comme chez un Ben) finit  en inventant le graphisme d’un discours qui ne se conçoit pas comme achevé puisqu’il est impossible de considérer le corps et l’art comme achevés. Les envisager de la sorte ce serait les tuer par immobilisation.

 

Dans les prises de Rodia Bayginot  tout bouge en d’indescriptibles traînes  que les cintres rehaussent afin que l’image s’arrache de la terre par effet de grigri. Si bien que l’artiste se fait griot : pourrait-on dire griotte ? A cet instant les morts ne reviennent plus hanter les vivants. Ce sont les vivants qui habitent les morts pour qu’ils persistent dans le cosmos. Le regardeur devient visiteurs des Visitandines avec leur coiffure de vierge folle donc humaine. Il ne reste qu’à s’asseoir près d’elles dans un besoin mélancolique de partager du temps et de comprendre la vie cachée et grouillante. Les corps ne sont pas emmitouflés : ils sont nus comme des coups de poing. Ce sont de parfois de Petites Femmes sortant de l’eau mais qui ne s’affaissent pas sur le sable. Personne n’est nécessaire pour les prendre sur des genoux. Rodia Bayginot les a sauvées du naufrage dans sa Passion pour les images et pour les autres.  Dans son formidable cortège humain la vie  une fois de plus recommence sa tache. Elle est là. En bonne camarade. Nous ne sommes plus ses égarés provisoires. L’artiste propose de participer  à sa danse grave et légère.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

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