Marcel Coard : les créations passionnées d’un ensemblier, vues de l’intérieur

Créateur de formes, capable d’en renouveler pour ainsi dire à l’infini les lignes, expert dans les matériaux qu’il faut employer pour leur assurer une parfaite esthétique, maître d’œuvre à même de diriger les artisans, le décorateur-ensemblier est une heureuse et savante combinaison de talents. Gestionnaire d’entreprise, il est aussi dessinateur. Aux idées et aux croquis élaborés dans son atelier, il ajoute le sens des affaires qui le mettent en contact avec les réalités du marché. Son savoir pratique se double d’une grande sensibilité artistique. Mais pas de beauté sans un niveau de connaissances techniques acquises au préalable. Marcel Coard, bâtisseur de grâces et de coloris, répond en totalité à ce portrait et prouve qu’il est l’exemple accompli de ces grands architectes d’intérieur qui imaginent, conçoivent, planifient et réalisent de véritables œuvres d’art dans le domaine souvent mal connu de la décoration d’intérieur. Comme nul autre, il mêla les styles allant de l’art nègre et du cubisme au contemporain et à l’art nouveau. Ce qui n’excluait pas de son champ de compétences une faculté d’adaptation à d’autres styles, notamment celui qui s’apparente à la rusticité ou celui qui dérive du baroque, puisqu’il organisa un salon dans le goût du XVIIIème siècle pour la joaillière Suzanne Belperron. Regarder ses nombreuses productions revient à admirer comment il coordonna les objets avec les tissus, comment il inventa des concepts neufs en partant de principes anciens et façonna ce qu’on pourrait appeler des atmosphères, à la fois cohérentes, novatrices et contrastées.


Les photos qui illustrent ce livre montrent son aptitude à marier ce qui pour d’autres aurait semblé inconciliable afin de trouver ce point d’équilibre entre les aspects pratiques et les exigences plastiques. Elles dévoilent également la qualité parfaite des finitions, signe d’une conscience professionnelle qui conduit chaque détail à son aboutissement. Ici s’exprime toute la différence entre le fait et le fini. Plusieurs pages mettent en évidence son souci de parachever la moindre couture, le poli d’une surface, la courbure d’un fauteuil, sa volonté de parvenir à la notion de raffinement jusqu’à la moindre partie, même si elle ne semble pas essentielle, à la manière de ces « oeuvriers » du Moyen âge qui accordaient autant d’attention à ce qui ne se voit pas qu’à ce qui occupe le devant de la scène. Plusieurs photos sont à cet égard éloquentes, comme celle présentant ces piqûres entre les feuilles de parchemin qui forment l’abat-jour d’un lampadaire en chêne teinté. Par ailleurs, l’amplitude de son inspiration était large. Il cherchait des motifs éloignés entre eux pour les associer et obtenir ainsi des modèles parfois surprenants, toujours élégants. Il unit le bois au cuir, le fer battu au rotin, le palissandre au parchemin, le verre au bronze, la loupe d’amboine au galuchat, l’ivoire à la céramique, l’aluminium à la galalithe. Marcel Coard aimait utiliser autant les matières courantes que les substances rares et inédites. Il appréciait en outre les essences exotiques venues d’Afrique et d’Asie. D’où ces commodes sobres et ces guéridons légers, ces cabinets à tiroirs aux montants sculptés de totems, ces fauteuils curules dont le piètement simule des serpents, ce lit gondole en ébène de Macassar, ces lampes géométriques et ces bureaux classiques, cette cave à liqueur gainée de python, ces boîtes à timbres en coquille d’œuf dont l’intérieur est laqué chamois. Son répertoire de motifs, de couleurs et de volumes était étendu. S’adaptant aux mouvements et aux modes, il créa pour ainsi dire à chaque fois des pièces uniques correspondant aux goûts d’une époque d’avant-garde qui en innovant gardait l’héritage du passé. Exercé de l’œil et adroit de la main, il réalisa des maquettes qui permettaient à ses clients de se rendre compte des compositions futures.


L’examen de certains meubles conduit le regard vers ces « accidents » imprévisibles qui paradoxalement rompent en l’augmentant l’harmonie générale. Tout d’un coup, une rupture de rythmes, une surprise dans l’élan, un ajout qui détonne mais noue la totalité pour lui donner son cachet, constituaient sa marque de fabrique et sa signature.


Marcel Coard a eu la chance de naître, le 30 juin 1889, dans un milieu non seulement aisé mais aussi cultivé. Il ouvrit les yeux sur des pièces meublées avec distinction. Un temps de formation à l’Ecole des Beaux-arts de Paris, section architecture, lui assure ses bases académiques. Il découvre jeune les modes anglaises. Il rencontre à ses débuts un homme qui marque l’époque, Jacques Doucet. Si sa carrière s’appuie sur des bases privilégiées, il la lance avec intelligence et persévérance et lui donne une trajectoire personnelle. Certes ses amis lui passent des commandes, mais d’autres acheteurs apparaissent et reconnaissent en lui un génie propre, original. Paul Cocteau lui confiera en 1928 la décoration de sa grande demeure située près de Tours. Le Mobilier national le fera également travailler.


Après la seconde guerre, son activité évolua. La demande, se décuplant, exigeait un mobilier « reproductible » auquel Marcel Coard ne pouvait ni s’intéresser ni souscrire, n’ayant jamais de sa vie travaillé en série. En 1957, sa galerie accueille une exposition intitulée « Art et solidarité » réunissant des œuvres offertes par des artistes « au profit des vacances gratuites du bol d’air des gamins de Paris ». Cet homme discret, enthousiaste, généreux, s’éteint le 20 octobre 1974. Son nom s’efface mais ses créations demeurent. Ce livre, en lui rendant un hommage mérité, comble un vide. L’auteure, elle-même passionnée par les arts décoratifs, publie le fruit de ses années de travail sur Marcel Coard. Elle offre non seulement à ceux que ce domaine intéresse mais bien plus largement, à tous les amateurs de la décoration et aux curieux, le plaisir de découvrir de l’intérieur son œuvre.


Dominique Vergnon


Amélie Marcilhac, Marcel Coard, décorateur, 250 illustrations, 23x31cm, Les Editions de l’Amateur, septembre 2012, 248 pages, 61 euros.

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