Les visages de Munoz ou les « protographies »
Les photographies de Munoz font sauter
les verrous de la conscience en offrant
des visages en extinction, effacement ou délitement selon diverses techniques.
Par exemple des figurations au charbon de bois sont
déposées au fond d'un bac d'eau. Avec l’évaporation du liquide ne demeure
progressivement que la poudre charbonneuse que dilue l’image. Est donc mis en
acte les rapports de la vie et de la mort, de la présence et de l’effacement de
l’image. Le regardeur plonge dans l’abîme de l'identité. L'artiste
colombien fait passer de l’illusion subie à l’illusion exhibée. De l'œuvre naît
ce qui vide et remplit le visage. Une béance surgit par effet de clarté comme
d’effacement. Elle arrache à bien des certitudes. Se dégageant des histoires d'objectivité
et de choses vues, ce n'est plus l'apparence qui est visible mais son dedans par
effet de surface. Elle dissout le "moi" au profit d’un fond de
l'être, de l'identité perdue. Munoz revient aux lignes essentielles. Son œuvre
les distribue en une saisie différentielle et comme en dessous d'un seuil de
visibilité. Apparaissent un pleurement
sans larme, un rire sans éclat dans une
recherche obstinée où - ultime paradoxe - au sein même du corps celui-ci ne
fait pas corps mais fomente pourtant plus que lui. L'artificialité de l'art permet donc un retour plus violent sur ce
qu'il en est de l’être. Il devient le fantôme d'une musique de l’existence en
une suite de découpes presque abstraites mais cruellement charnelles. La
simplicité du trait déboîte le visage par une sensualité paradoxale. Au sein de
la dureté elle devient velours et nacre. Les regards «en absence » nous
dévisagent. L’œil évoque à la fois celui
de Caïn et celui de "l'histoire de l'œil" de Bataille. Vie et mort.
Indissociablement. Etats de corps aux confins de la surrection et de l'extinction.
Le devenir art part de là où tout finit
et tout commence.
Jean-Paul Gavard-Perret
Oscar Muñoz, « Protographies », Musée du jeu de Paume, Paris, Filigranes Editions, 2014. Textes de José Roca et Emmanuel Alloa, entretien de María Wills Londoño avec l’artiste, 160 pages, 35 euros
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