Léopoldine Hugo & Yves Beaumont : mécanique des fluides et béance oculaire

Comme Greenaway l’avait senti en affirmant que le tableau nous regarde, le paysage pour Léopoldine Hugo et Yves Beaumont n’a de valeur esthétique « opérante » que s’il existe à travers son motif, un retournement de la vue. L'œuvre doit interroger le regard qui est sensé la voir. De l'œil au regard s'instruit la médiation de l'oeuvre : soudain c'est elle qui fissure énigmatiquement les certitudes trop facilement acquises de la contemplation fétichiste du paysage. A ce propos, Lacan fait une remarque capitale : "Dans le tableau toujours se manifeste quelque chose du regard.  Le peintre le sait bien, dont la morale, la recherche, la quête, l'exercice est vraiment la sélection d'un certain mode de regard là où toute représentation de la figure humaine est absente si bien que vous aurez le sentiment de la présence du regard » (in « La mécanique des fluides).

 

La béance oculaire  s’inscrit dans la peinture de paysage des deux artistes. Ils écartent  les bizarreries de la nature ; seul l’horizon  semble venir devant nous, au devant de nous par le royaume de l’horizontalité.  Les reflets lumineux qui se concentrent sur le partage des plans.  Le paysage nous regarde du fond des âges et devient passeur d'âmes. Il renvoie aussi à la Vanité inscrite dans le paysage  presque vidé de sa substance puisque sans yeux. C'est pourquoi on peut reprendre ce que Saussure écrivait à propos du tableau de paysage : « on croit entendre la voix de la nature et devenir le confident de ses opérations les plus secrètes »  

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Léopoldine Hugo & Yves Beaumont, « Horizons », Galerie Chantal Bamberger, Strasbourg, 31 octobre – 22 novembre 2014.

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