Alain Germain : Aires de soupçon

Metteur en scène, chorégraphe, écrivain, architecte, décorateur, costumier, peintre, Alain Germain crée un univers hybride et protéiforme. Diplômé des Arts Décoratifs et des Beaux-arts, il fonde sa compagnie en 1972 et commence une carrière internationale. Dans « Fragments de mémoire » il propose un voyage nomade et une remontée dans l’intermittence de la mémoire. Il tire des boutiques plus ou moins en désuétudes des souvenirs, journaux, bibliothèques, éléments de vie, instantanés de spectacles ce qui fonde un corpus de vie depuis plus de 40 ans. Pour le réaliser l’artiste crée des dispositifs composites rassemblés en quadrilatères. Il y a là le substrat de l’expérience selon «  la perte des objets, mosaïque ébréchée et fresques recomposées d’œuvres recomposables à l’infini ».



 

Les « lambeaux » remontés  ramènent d’une manière ou d’une autre  à une filiation non seulement par les pièces rapportées mais ce qu’elles « cachent »  ou rappellent (les corps entre autres). Une douceur émane des visions en elles-mêmes violentes par l’effet de coupe et de rapprochement. Chaque œuvre  étrange, complexe, erratique et ambiguë implique une certaine distance en ce qui est vu.  Créateur d’histoires visuelles, Alain Germain  joue avec la notion de représentation. Entre le fait de recomposer le passé et d’appeler le présent surgit un soupçon des plus salutaires. Il y a là implicitement une mise à nu de divers préjugés sur la monstration. D’autant qu’on a jamais dit qu’un artiste devait représenter avec une très grande ressemblance.  Okwui Enwezor affirme même « que l’on ne devrait jamais représenter  de cette manière ». Et Alain Germain prouve que les artistes ne doivent que ce qu’ils veulent et l’assumer.


C’est pourquoi une telle exposition suggère bien des possibilités. Aucune n’apporte de réponse définitive. D’autant que le travail de recomposition ne naît pas d’une seule idée ou intention. Son sens ne saurait être univoque. Figures ou éléments « imposés » sont autant des modèles que des rôles.  On ne sait si chaque œuvre est une fenêtre de l’âme ou d’un autre spectacle. Mais dans ce cas celui-ci est moins dans la passé que dans l’avenir d’une telle création. Chaque fragment  laisse deviner des peurs, des doutes, des incertitudes même inconscientes. Des doutes mêmes sur la nature de l’art.


Dans ce travail tout un processus d’informations d’origines très diverses est livré et modelé. Les éléments recomposés créent une complexité. Masculin et féminin, intellectuel et sensuel, côté obscur, côté lumineux  cohabitent. De tels « hybrides » prouvent  que l’art relève forcément d’un amalgame de types définissables et se rapproche d’une érotique intuitive.  Elle s’articule autour des aléas du sens et de la disparition de cadre de références par effet de perte de mémoire. Il y a là une nudité sauvage et une approche de l’altérité.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Alain Germain, Fragments de mémoire, Galerie Mansart, Paris 3ème jusqu’au 3 mars 2015.


Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.