Sympathie avec le diable : Antone Dolezal & Lara Shipley

Combinant à la fois leurs talents et diverses techniques de prise de vue et de médiums  Lara Shipley et Antone Dolezal ont créé un livre en trois partie intitulé « Spook Light Chronicles » selon un projet commun présenté sous le nom de « The Devil’s Promenade ». L’univers créé n’est - et à dessein - pas forcément localisable afin que le regardeur puisse s’y intégrer selon une vision en plans fixes d’un nouveau projet « Blair Witch ». La région d’Ozark dans le MiddleWest n’est donc qu’un prétexte même s’il a son importance : en est tiré des êtres plus ou moins sinon étranges du moins dérangeants.


Au milieu d’une forêt, dans une rivière mystérieuse tout devient humide, moite et inquiétant. Les créatures rencontrées quoique réalistes sont sidérantes : amoureuses lesbiennes, femme un peu perdue, étranges nageurs sont saisis dans un univers sombre, décadent et un rien  gothique. Demeure un monde d’âmes perdues voire damnées au milieu de trous sombres dans des buissons qui ne mènent on ne sait où. Fondées sur des histoires folkloriques de tradition orale les images des deux créateurs inventent moins une narration qu’une série de « spots » fascinants.


De cet univers naturel émerge une étrange communauté pauvre et isolée faite d’ « outsiders » qui luttent tous les jours dans un univers moins réel qu’en bascule continuelle entre le Paradis et l’Enfer.  La lumière qui flotte est pénétrante et cauchemardesque : sont prêts à en surgir plus des diables que des anges. Chaque individu est proche de la défaillance et ramène aux origines quasi sauvages de l’existence. La région d’Ozark sert donc de matrice à des images expressionnistes et insolites.


Elles créent plus à une mythologie qu’un documentaire. Le mystère et le malaise demeurent omniprésents. C’est pourquoi un tel univers fascine : au regardeur de faire avec car nul clé n’est révélée par les deux artistes. Il y a sans doute des bords à un tel monde : mais le centre est partout.  Entre marge et axe il n’existe pas plus de différence qu’entre imaginaire et réalité. Les deux artistes disloquent les carcasses qui enlacent l’angoisse sans pour autant l'effacer par miracle. Bien au contraire. Face au gouffre de forêts intérieures, l'œuvre rassemble dans ses filets un cheminement instinctif au sein des ténèbres. Restent d’étranges déambulations (ou poses) en des lieux qui multiplient les fausses pistes et les chausses trappes.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Antone Dolezal & Laura Shipley, "Spook Light", Search Party Press, USA, 2015.

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