Avec sa série « Technically Intimate » Evan Baden explore les arcanes de la scénarisation l’ego par une génération immergée dans les réseaux sociaux. Les pratiquants s’en servent afin d’afficher de manière ostensible leur intimité. Scènes et prises proposées via leur écran à leur réseau d’ « amis »,  l’artiste les recrée avec des modèles. Manière pour lui de montrer comment les téléphones cellulaires sont utilisés par la « génération du digital » afin d’exhiber de manière sécurisante (du moins c’est ce que les adeptes estiment) leur nudité. Tout cela tient d’une série d’illusion d’optique et de sens que les exhibitionnistes semblent ignorer. La protubérance de leur ego recherche une lumière malsaine et une transparence douteuse. Elles se veulent histoires de vie mais ne sont qu’illusions dérisoires aussi idiotes que prises au sérieux par ceux qui s’y abandonnent.

Evan Baden ne porte pas à proprement parler de jugement. Il voit là une « rage de vivre » par procuration. L’artiste se contente de monter le mensonge qui se fomente dans ce qui se prend pour une recherche de vérité.  La littéralité se croît plus forte que la métaphore. De fait ce qui semble porté vers le futur  est tourné vers l'arrière en d'infinis adieux dont les exécutants n’ont même pas conscience. L'écart est important entre ce qui est donné à voir et le réel : d'un côté l'emmêlement, de l'autre l'approche de la clarté. L’écran n’est donc qu’un piège non seulement pour le regard du voyeur mais pour celle ou celui qui se montre sans  comprendre ce que cela engage.

La vue sollicitée se laisse conduire par une confusion.  Le sens échappe à celle ou celui qui se livre à un tel jeu. Il croit le contrôler mais de fait  tout revient à un abîme d'impuissance. Ce qui se présente comme un commencement est un  aboutissement là où rien n'a été vécu. De telles prises tiennent de la commémoration d’une cérémonie qui n’a pas lieu et par une présence « in absentia » de toute existence. Ne reste là qu’un résidu inassimilable autant pour les émetteurs que les récepteurs.

Jean-Paul Gavard-Perret

Evan Baden, « Technically Intimate »