Amadeo de Souza-Cardoso, la découverte portugaise

Il a tout de ces astres qui apparaissent dans le firmament, y brillent un temps de leurs feux conquérants et disparaissent, laissant un sillage que l’on pense effacé puis soudain s’impose à nouveau. La belle exposition du Grand Palais* apporte la preuve de ce parcours cosmique, avec la présentation de 250 œuvres, des documents d’archives et quinze œuvres d’artistes qui sont pour l’occasion des satellites de première grandeur autour de cette jeune étoile. Ce météore vient du nord du Portugal, il est d’une grande famille, il est élevé dans la tradition, il a du caractère, il est musicien, il sait écrire. « Toutes les créatures viennent au monde pour suivre leur propre destin » écrit-il en 1907 à sa mère. Il va s’employer à construire le sien. Il se donne une devise, « accomplir c’est vaincre ». Il vainc l’oubli dans lequel il était relégué. Il aurait été un des maîtres de cette galaxie artistique qui entre Paris et Lisbonne assure à la créativité du moment son mouvement et son style si…. La mort l’emporte quand il a la trentaine. Sa fulgurante carrière dure dix ans environ.

 

Il y a comme deux étapes majeures dans l’existence d’Amadeo de Souza-Cardoso, qui correspondent en gros aux deux périodes de sa peinture. D’un côté ses séjours à Paris où il est en relation de connaissance et d’amitié avec ce qui compte dans les cercles artistiques. Modigliani est l’un de ses plus proches amis, mais aussi Brancusi, Juan Gris, Picabia, Robert et Sonia Delaunay, Otto Freundlich. Il rencontre Cendrars, Chagall, Gaudí. Il a un atelier attenant à celui de Gertrude et Léo Stein. En clair, il a toute sa place sur l’orbite des constellations qui gravitent autour de Montparnasse. De l’autre, son retour dans son pays, jusqu’à sa disparition. S’il a été « la première découverte portugaise de l’Europe du XXème siècle», comme l’écrit le poète et peintre José de Almada Negreiros, il est également « l’initiateur de la révolution picturale portugaise ». Fernando Pessoa verra et appréciera certaines de ses œuvres.

 

La brièveté de sa vie ne l’empêche pas d’effectuer une trajectoire brillante, d’acquérir une bonne renommée, d’exposer aux Indépendants à Paris, au Salon d’Automne à Berlin, à Vienne, à Porto, dans des galeries. Il se renouvelle dans ses approches, en même temps et tour à tour impressionniste, cubiste, futuriste. Amadeo de Souza-Cardoso ne privilégie aucun attachement à aucune école, expérimentant, cherchant, se renouvelant, ce qui lui vaut sa richesse et sa différence. Il a quand même de solides références, car note-t-il, « je passe mes journées avec les peintres primitifs qui sont mes idoles ». Quelques œuvres particulièrement surprenantes émergent et serviraient de jalons pour suivre ce parcours.     

 

Dans un article consacré à l’artiste qui en 1912 a lancé un projet éditorial sur ses dessins (XX Dessins) dont le trait surprend par la puissance et la finesse, le journaliste et écrivain Jérôme Doucet note qu’Amadeo de Souza-Cardoso « a su transformer une feuille de papier en une sorte de tapis d’Orient ». A ses mots d’élégance et d’outrance, on peut ajouter celui d’exubérance, tant les formes sont stylisées et accentuées, les couleurs tranchées et cependant harmonieuses. L’aspect décoratif est comme une réalité amplifiée qui déroge à la vérité pour mieux la faire valoir. Cette manière de concevoir et composer le tableau emblématique de cette période est explicite dans Le Saut du lapin, (huile sur toile, 1911, présenté en 1913 à l’Armory Show, États-Unis), dont la végétation exotique évoque certaines toiles du Douanier Rousseau et les combinaisons dynamiques de Franz Marc, ou encore dans le Paysage avec oiseaux, également dans Château fort. Le Don Quichotte constitue pour sa part un exemple du talent d’Amadeo de Souza-Cardoso pour définir à partir de cercles, d’ellipses, d’ondes sinueuses et autres formes géométriques une figure vivante, en action, dans un concours chromatique équilibré autant que fantaisiste. Comme pour d’autres tableaux, l’œil doit dans Bateaux distinguer les volumes qui conduisent au sens, discerner les ensembles dans un apparent désordre de taches, rétablir mentalement l’image finie qui soudain prend corps, s’animent, le jeu des couleurs participant à la synthèse finale. A Manhufe, dans sa maison à la campagne, ses recherches s’orientent vers le paysage, les intérieurs, des toiles plus orphiques, le folklore de son pays, à vrai dire souvent répétitives, aux tons heurtés voire stridents, criards, à l’évidence moins captivantes. Elles s’oublient au profit des autres, qui sont une vraie découverte.

 

Dominique Vergnon

 

*    co-organisée avec la Fondation Calouste Gulbenkian, du nom du grand collectionneur d’art

Sous la direction scientifique de Helena de Freitas, Amadeo de Souza-Cardoso (1887-1918), éditions de la Réunion des musées nationaux, 288 pages, 220 illustrations, 24,5x29 cm, avril 2016, 40 euros.  

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