Peter Allert : dévisager l’évidence
La question de l’être passe souvent par le visage. Car le visage est une totalité. Nos sens et notre machine à penser s’y retrouvent. L’appréhension du monde s’y concentre : vue, ouïe, odorat, nez, langue, bouche sans oublier notre disque dur. Le visage est donc l’interface entre soi et le monde. Et il se reflète symboliquement sur le globe terrestre en son entier.
Néanmoins le portrait ne se réduit pas à l’addition de ses éléments « utilitaires ». Il dépend d’autres paramètres (dont le racisme abuse au besoin). Dans sa manifestation le portrait reste toujours énigmatique. C’est pourquoi il fascine les peintres et les photographes. Un visage peut sembler le plus fort il est le plus vulnérable. Le sens commun le sait d’ailleurs bien lorsqu’il parle de « perdre la face ». Ajoutons qu’il s’agit du seul endroit où en société le corps est nu. Pour autant cette nudité est un voile. Peter Allert le prouve.
Il sait que la psychologie morphique (physiognomonie) d’un visage reste une aimable plaisanterie. Certes on peut jouer avec les mimiques et les formes du visage pour en déduire des « qualités ». Mais pas question de caractériser une identité sous le simple critère de ces apparences et ce même si souvent on en use ou en abuse pour émettre un jugement sur un être.
La physionomie du visage peut dire beaucoup de choses ou rien sur l’identité. Dans la rue nous estimons rapidement les passants, dans notre rapport avec l’être aimé nous le scrutons avec attention. Pour autant notre jugement dans les deux cas "s’égare" comme aurait dit Pascal.
Entrer dans un visage photographié par Peter Allert revient à pénétrer une histoire à multiples facettes. Une histoire d’art et non de psychologie. L'espace photographique d’un portrait est rempli de forces qui n’appartiennent qu’au langage du médium. Tout un monde s'invite sans être embarrassé par les lois qui cadenassent, jugent. L'espace est libre de se composer au gré de l'imagination du créateur. Et Peter Allert ne s'en prive pas. Il existe toujours dans ses œuvres un impressionnisme avéré qui s’exclut de toute idée de « reportage ».
Et c’est en ce sens que ses portraits sont habités à travers divers hybridations dans la « matière » même de la photographie. Un trait noir peut venir souligner des rondeurs ou approfondir des joues haves. Chaque prise est le creuset où un visage surgit métamorphosé là où Peter Allert ne tente pas de re-montrer une identité mais de la réinventer.
S
Jean-Paul Gavard-Perret
Peter Allert, Corridor-Elephant, 14 rue Saint-Roch, 75001 Paris, n° 22, mai 2016. Voir : corridor-elephant.com
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