"Glory", une certaine tendance du comics américain


La sortie de cette mini-série basée sur un personnage créé par RoLiefeld nous offre l’occasion de revenir sur le parcours de ce dessinateur très controversé, de ce qu’il révèle de l’évolution des comics depuis une vingtaine d’années (dont cet album constitue une illustration significative peu susceptible de susciter l’enthousiasme du rédacteur de ces lignes).

 

On demande un créateur…

 

C’est à la Marvel que Liefeld s’illustre au tournant des années 80/90. Après avoir dessiné un épisode de la série Uncanny X-men, il reprend la série New Mutants, sorte de maternelle du monde X-men où des jeunes adolescents apprennent à maîtriser leurs pouvoirs et sont destinés à devenir les successeurs de Wolverine & co. Cette série a, durant les années 80, été illustré avec brio et inventivité par Bill Sienkiewicz (à quand une réédition ?) mais au moment où Liefeld la reprend, elle vivote doucement. Les jeunes mutants se sont émancipés sous la tutelle sympathique de Louise Simonson, une scénariste agile mais routinière (plus tard, elle travaillera à la « mort » de Superman). Rapidement, Liefeld impose son style visuel : personnages baraqués (et griffus), rictus, combats violents, trame réduite à sa plus simple expression. Et ça marche, les ventes décollent tandis que dialogues et idées disparaissent rapidement de la bande…

 

A la décharge de Liefeld, reconnaissons que ça plait. Le problème est qu’il impose un style qui nuit à des scripts fouillés et saccage un univers que le scénariste Chris Claremont s’était évertué à construire de manière cohérente durant les années 80. Bientôt, il lance la série X-force (les personnages des new mutants sont juste relookés), premier grand succès de Marvel en 1991 (avant celui de Jim Lee avec X-men la même année). Liefeld, comme les autres dessinateurs de sa génération, s’estime lésé, joué, maltraité par la Marvel… et claque la porte avec ses collègues Todd McFarlane et Jim Lee. Ils partent fonder une nouvelle maison d’édition, Image, en 1992. Et Rob proclame haut et fort : « vous allez voir ce que vous allez voir… »

 

Qui ne créée rien…

 

Le problème est qu’on a rien vu. Les « créateurs » livrent des décalques de ce qu’ils ont fait chez Marvel (les Youngblood de Liefeld et les Wildcats de Jim Lee « ressemblent » par exemple beaucoup aux X-men, pour rester polis) et n’arrivent pas à tenir les délais. Ils livrent de plus des bandes très violentes, tournées vers l’action, qui plaisent au public d’ados des années 90 dans un premier temps mais dans lesquelles on ne retrouve rien de la richesse des comics de la Marvel des années 60-70. Image patauge jusqu’à ce qu’une crise entre Liefeld et ses associés surgisse… et qu’il quitte Image. Entre temps, il a cependant eu une idée de génie : contacter Alan Moore (scénariste de Watchmen) pour qu’il reprenne ses personnages. Moore, le Citizen Kane des comics, répond présent et commence par reprendre un clone de Superman, Supreme : il livre alors sa version de Superman avec un brio et une féérie qui lui vaudront de nombreux prix. Liefeld, pas bête, décide alors de lui demander de relancer le personnage de Glory (qui n’est rien d’autre au fond qu’une variation sur Wonder Woman) et Moore accepte… Sauf que le marché du comics s’effondre : trop de retards d’Image, trop de comics lançés par Marvel pour concurrencer Image (ultraviolents, axés sur le dessin, sans script…). Liefeld fait faillite, nous ne verrons que 8 pages de la reprise du sorcier britannique (dessinées par l’irrégulier Brandon Peterson). Liefeld reviendra à la Marvel pour s’occuper de série de la franchise X-men, sans cependant retrouver le succès du début des années 90, car le lectorat a changé : si les pré-ados et ados des années 80-90, devenus adultes, continuent d’acheter chaque mois les aventures de leurs héros favoris, de moins en moins de « jeunes » s’intéressent aux comics…

 

Le retour de Glory

 

Même en travaillant pour d’autres compagnies, Rob Liefeld veille sur ses personnages dont il a conservé les licences. La mini-série présente constitue un de ses efforts pour relancer l’intérêt autour de ses « créations ». Ici il fait appel au scénariste Joe Keatinge et au dessinateur Ross Campbell. Jeune trentenaire, Keatinge a travaillé chez Marvel sur le crossover (raté) Age of Ultron, ainsi que chez DC sur Batman. Il livre une préface assez enthousiaste, tant sur le personnage, les lieux où se déroulent sur la mini-série, que sur ses idées. Ross Campbell a un profil plus « indé », peu porté sur les super héros. Son dessin se révèle à la fois « cartoony » et proche des mangas. Le pari semble a priori risqué pour nos deux créateurs de travailler sur un personnage aussi stéréotypé que Glory. Force est ici d’affirmer que la sauce, chers lecteurs, ne prend pas…

 

On demande de la magie

 

Joe Keatinge livre un scénario malin, plein de références sur la mort des dieux (le Ragnarök des vikings), la nature mi-bestiale et mi-divine de son héroïne guerrière, le regard d’une de ses fans, Riley (subtile mise en abyme du lecteur) sur le personnage… Pour rien ou presque. Pourquoi cet échec ? On pourrait incriminer le dessin de Ross Campbell, peut-être trop « cartoon » justement pour des aventures d’une super héroïne. Dans le même temps, il change aussi de style graphique à plusieurs moments dans la bande au gré des atmosphères : il sait s’adapter. Le problème essentiel de cette mini-série est qu’elle est dépourvue de magie. Glory se bat, éventre, arrache des membres, est la victime d’un conflit de famille et d’une mémoire défaillante… Sauf qu’on s’en fout. L’hémoglobine coule, Tokyo est rasé (mais pas le mont Saint-Michel : merci Joe), je reste complètement indifférent. Chers lecteurs, suis-je réac ? Hulk et la Chose avaient coutume de se battre dans New York (et de démolir les immeubles, fournissant ainsi des marchés à Bouygues), dans le désert du Nevada (et de nécessiter ensuite la refonte de la carte de géo) sans que cela dérange. On devinait qu’il y avait des victimes parfois. Mais nous aimions Hulk et la Chose (« ça va chauffer », criait ce dernier avant d’aller au charbon). C’était magique, hors de la réalité et en même temps ces personnages avaient de la consistance. Glory n’en a pas, Glory ne fait pas rêver. On s’en cogne de ses problèmes de famille avec son père démon et sa mère amazone. En partie parce que tout est au premier degré, presque comme une séance de psychothérapie…

 

Aujourd’hui, les comics n’attirent plus des trentenaires ou des quadragénaires, des gens adultes et restés amoureux de leurs personnages fétiches. Aux rares qui sont restés attachés au personnage de Glory, cet album est pour vous. Vous adorerez dénicher et recenser les références  qui parsèment les pages, peut-être vous régalerez-vous aussi des torrents d’hémoglobine répandus par l’héroïne. Mais pensez-vous réellement que de telles histoires vous auraient accroché enfant ? Ne voyez-vous pas que les comics sont en train de mourir à petit feu, suite au baiser de la mort donné par Liefeld et consort, une des causes de l’implosion du marché il y a vingt ans ?

 

En tout cas, pour mon neveu âgé de neuf ans, je pense que je vais lui offrir du Jack Kirby, au nom du rêve et de la magie…

 

P.S: le titre de cet article renvoie à un célèbre article de François Truffaut sur le cinéma français, ma manière de saluer ce grand cinéaste.

 

Sylvain Bonnet

 

Joe Keatinge & Ross Campbell, Glory, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Benjamin Rivière, avril 2014, 288 pages, 27,95 €

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