Leurs lettres se croisent avec l’art

L’écriture, miroir et reflet. Miroir de soi et reflet pour les autres. Elle est image et lien, charnière entre moi et autrui, passage de l’intimité à l’extérieur. En 1884 paraît un ouvrage sous la double plume d’A. Desbarrolles et Jean-Hyppolyte intitulé : « Les mystères de l’écriture, art de juger les hommes sur leurs autographes ». Si les gestes sont les expressions des mouvements de l’âme, l’écriture exprime ceux de la pensée estiment dans leur avant-propos les auteurs avant d’aborder la question sous l’angle de la graphologie.

 

 

Dans son avant-propos, Gérard Lhéritier pose une autre question, celle de savoir si le dessin n’est pas à l’origine de l’écriture ? Dans ce cas, la part de création déborderait celle de l’apprentissage. La liberté de la main devance le cheminement de la pensée. En fait, comme le prouve cet élégant ouvrage consacré aux plus belles lettres illustrées, ils sont associés pour dire davantage, les mots s’appuyant sur des formes différentes, les formes servant à amplifier le discours. Pour donner à leurs courriers une seconde visibilité, les signataires de ces courriers agrémentent, ornent, décorent, honorent de dessins, d’aquarelles, de traits de plume, de croquis, de figures, de légendes, de schémas, de vignettes, d’esquisses, d’arabesques la feuille où ils consignent un propos, une idée, un souvenir, un désir. Qu’ils soient musiciens comme Satie, Berlioz et Tchaïkovski, peintres comme Van Gogh, Derain et Gauguin, architectes comme Baltard, Marie-Joseph Peyre et Gio Ponti, scientifiques comme Graham Bell et Isaac Newton, écrivains et poètes comme Rostand, Desnos et Gérard de Nerval, tous confient à leur main la tâche attirante pour eux et amusante pour le lecteur d’accroître la portée de la parole écrite, de l’éclairer, la développer, l’expliciter, l’envelopper de leur imagination. Ici l’en-tête est celle d’un hôtel avec à côté un chemin de montagne à l’encre de Chine, là une marge est enluminée de caricatures. Il faut les découvrir une à une en pensant qu’elles sont miroirs et reflets de ces femmes et de ces hommes qui nous sont connus pour d’autres raisons mais qui se révèlent ici sous un aspect plus familier, davantage privé et ajoutent à leur arc un nouveau don.  

 

Divertissement et volonté d’aller au-delà du simple déchiffrage à proposer si la graphie est difficile à saisir d’un coup, le texte illustré devient accompagnement personnalisé. Matisse ébloui par les fastes du Maroc partage et dévoile son travail à venir avec ses amis. Magritte détaille à l’intention de son marchand ses tableaux en les recomposant sur la page. Avec sa grâce naturelle et son sens de la poésie instinctif, Marie Laurencin peint de délicieuses miniatures pour son « Cher vieux Pierre » (Henri-Pierre Roché) entre lesquelles s’insèrent les lignes. Merveilleux « coup de griffe » de Richard Doyle, en juillet 1843, qui rend compte non sans une pointe de fine moquerie de l’actualité londonienne. Que dire de Delacroix, aussi talentueux épistolier qu’extraordinaire dessinateur, qui enjolive sa missive d’un vivant instantané pris à Meknès. Que dire d’Edward Hopper qui raconte avec humour à sa Dear Mother ses aventures équestres, de Rubens qui s’intéresse à l’histoire du trépied, de Picabia terminant sa lettre par un délicieux portrait de jeune femme. Et Tinguely, Cocteau le magicien, Frida Kahlo l’ardente souffrante? Des messages venus du plus profond d’eux-mêmes qui arrivent et éclosent à la surface du papier !

 

Les 100 lettres que regroupe ce livre sont toutes merveilleuses, que ce soit à titre de témoignage, de testament, de projet, de compte rendu, de fantaisie, d’ode, de récit, de fiction. Que ce soit l’imagination, l’amour, le souci didactique, l’épanchement du cœur, la confidence, la plaisanterie qui aient inspiré cet or visuel, peu importe, elles apportent une lecture réjouissante d’autant plus que les textes qui en commentent la genèse et le contexte sont remarquables. Ils donnent les références historiques, littéraires, sociales nécessaires pour les apprécier davantage. Le rédacteur se fait ainsi plus proche, il se livre plus, il paraphe un autre aspect de ses secrets. A qui donner la palme ? A tous et à personne, tant chacune de ces lettres est en soi un petit tableau. A les détailler, le proverbe  « celui qui a une bonne écriture dessine bien » garde-t-il tout son sens ? Peut-on le transposer et penser que celui qui dessine bien se lit mieux encore ?

 

Dominique Vergnon

 

 

Christel Pigeon, Gérard Lhéritier, L’Or des manuscrits, 100 lettres illustres et illustrées, Gallimard - musée des lettres et des manuscrits, 232 pages, nombreuses illustrations, 23,5 x 23,5 cm, novembre 2014, 29 euros.

Aucun commentaire pour ce contenu.