Monsieur, un prince amateur d’art

Il connaît par cœur les arcanes de la cour, il n’a pas son pareil pour ciseler des portraits en général justes et cinglants. Chateaubriand et Proust le tenaient pour une de nos meilleures plumes. Il faut relire Saint-Simon pour connaître la vie des grands dans la France d’avant ! Surtout avant d’ouvrir ce magnifique ouvrage consacré aux collections de la famille d’Orléans car le portrait que l’on découvre au début explique en partie la suite. Sur Monsieur, les mots du duc épistolier portent de fines mais décisives estocades. Le frère de Louis XIV disposait de revenus lui permettant de vivre fastueusement. Eloigné du pouvoir, marié mais vivant selon ses penchants particuliers, « toujours paré comme une femme, plein de bagues, de bracelets et de pierreries et de sortes de parfums », il fait cependant valoir son sens stratégique et son courage lors de la bataille de la Peene, en Hollande. Toujours selon Saint-Simon, s’il a des connaissances, il lui manque de l’esprit et il n’est « capable de rien ». Son château de Saint-Cloud, acquis en 1658 et agrandi par ses soins, est devenu « un palais de délices ». De ses collections, on sait qu’il expose « le fleuron près de sa chambre à Saint-Cloud. On pouvait y admirer des chefs d’œuvres du Titien, de Véronèse et de Van Dyck, des céramiques venues principalement d’Orient, des pièces de cristal de roche, des bijoux et autres sculptures de pierres précieuses dont un Saint-Sébastien d’ébène aux yeux de perles. Le Palais-Royal recelait pas moins de 169 tableaux, essentiellement de maîtres hollandais ».   

 

 

Quoi qu’il en soit de son existence privée, Philippe duc d’Anjou puis d’Orléans (1640-1701) c’est à dire Monsieur (titre réservé au frère du roi), est un homme de goût, cultivé, raffiné, mécène, grand collectionneur et capable « de lancer des modes », ce qui n’est pas donné à tout le monde. Monsieur a en plus le don peu courant de distinguer et s’entourer des meilleurs artistes de l’époque. Ce train de vie hors du commun entraîne des dépenses considérables et ses dettes s’élèvent à des montants colossaux.

 

 

La collection s’est constituée de plusieurs manières, à la fois par héritage, dons et legs, loteries, achats notamment lors de foires, cadeaux diplomatiques. Son mariage avec Henriette d’Angleterre, (au sujet de laquelle lors de sa mort Bossuet dira les paroles demeurées fameuses, « Madame se meurt, Madame est morte »), contribue également à l’embellissement de la collection. Les fêtes et les réceptions constituent les meilleures occasions pour présenter et utiliser les pièces, comme ces « pourcelaines », véritables châteaux de plateaux superposés de taille décroissante pour mettre les fruits et les confits. Madame de Sévigné mentionne ces incroyables pyramides montées pour les soupers royaux dont la magnificence et la rigoureuse ordonnance obéissent à des règles « quasi militaires », afin que le service soit aussi raffiné, efficace et élégant que possible.

 

 

On lit avec plaisir le chapitre concernant la visite en 1686 des ambassadeurs de Siam dont Sébastien Leclerc l’Ancien a relaté l’arrivée dans une expressive gravure à l’eau-forte. Monsieur reçoit les excellences orientales dans ses appartements à Versailles. La description par le Mercure galant d’une de ces fêtes permet d’imaginer le degré d’extrême finesse de la vaisselle disposée sur les tables, de la qualité de l’accueil, de la splendeur des décorations, de la délicatesse des mets qui font des collations des moments de luxe, de courtoisie, d’échanges cultivés, car il ne faut pas se tromper, la plupart des invités ont ce qu’on appelle « des manières et de la conversation ». Pour les étrangers, la France est à l’époque la première nation. Pour les Français, il en va du rayonnement de leur pays. Lors de ces soirées, Monsieur porte des bijoux inestimables. Au total, ses biens dans ce domaine atteignaient sans doute une valeur supérieure à 1 500 000 livres. A sa mort, beaucoup de ces bijoux ont été vendus aux enchères. Entre les deux frères, les rivalités sont fréquentes et en matière d’art, elles ne manquent pas. Les registres nous renseignent sur l’état de leurs collections. Leurs fournisseurs sont parfois les mêmes que ceux du roi mais il arrive que Monsieur passe des commandes aux artisans de son choix. Philippe aménage aussi le Palais-Royal et fait appel notamment au célèbre Mansart. 

 

 

Tous les chapitres dont les illustrations sont en lien avec le texte, s’avèrent pleinement intéressants à la fois au plan historique et au plan artistique et mettent en lumière le rôle de Gaston d’Orléans, pour ainsi dire initiateur de la collection qui se transmettra dans la famille. Les arbres généalogiques à la fin du volume aident à mieux situer les différentes branches et les filiations. Autres sources de données aussi précieuses que commodes pour se repérer dans les collections et les noms employés, le glossaire et la typologie par objet et par date. On apprend ainsi le sens étonnant de certains mots usités alors, comme grimace (boite couverte d’étoffe servant à la toilette), chique (petite tasse), bandège (table sur laquelle on dépose des soucoupes ou autres, mot évoquant son équivalent espagnol, bandeja, qui signifie plateau), ou encore le pied de roy (mesure contenant douze pouces). Le recensement des objets montre l’extraordinaire travail d’érudition, de recherches, d’enquêtes et d’archives mené par l’auteur dont la passion pour le sujet est constamment manifeste, ce qui entraîne son lecteur dans le sillage de Monsieur et son vie somptueuse et princière. Enfin l’imposante  bibliographie propose à tous ceux qui s’intéressent à l’art et l’histoire des champs complémentaires et presque illimités d’information.

 

 

Dominique Vergnon

 

 

Paul Micio, Les collections de Monsieur, frère de Louis XIV, Somogy éditions d’art, 24x32 cm, 360 pages, 225 illustrations, novembre 2014, 59 euros.   

 

 

 

 

 

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