Entretien avec Gwen Edelman à propos de son roman "Un train pour Varsovie"

Gwen Edelman, américaine née à New York campe dans son dernier roman Un train pour Varsovie, un couple qui ayant survécu au ghetto revient dans la capitale polonaise quarante ans plus tard. Ce voyage du souvenir lui permet de se retrouver après de nombreux et douloureux questionnements. Invité par la Maison des écrivains, Jascha ne souhaite aucunement retourner dans la ville où il connut tant de souffrances, alors que Lilka, sa femme le désire tant sa nostalgie est grande.


Gwen Edelman, romancière qui fut éditrice et vécut quatorze ans à Paris poursuit dans ce deuxième livre son étude sensible de la Shoah, du souvenir et de l’impossibilité de retrouver sa place dans une ville, qu’elle soit d’adoption, Londres, même au bout de plusieurs décennies ou de naissance, Varsovie à jamais perdue dans les brumes du souvenir.


Pourquoi avoir choisi le thème du ghetto de Varsovie que vous appelez Là-bas dans votre dernier roman ?


J’ai grandi dans un petit village au nord de New York dans lequel nous étions les seuls juifs. A l’époque, l’holocauste était un sujet tabou dont personne ne parlait. A onze ans, j’ai lu par hasard « Le dernier des justes », un roman qui a pour thème, l’histoire de l’antisémitisme et même si je n’ai pas tout compris, j’ai commencé à me passionner pour le sujet, j’ai cherché à comprendre ce qui s’était passé et j’ai depuis lu de très nombreux livres concernant cette période.

Etant d’une famille arrivée aux Etats-Unis au dix neuvième siècle, en 1880, qui n’a heureusement perdu personne directement lors de la seconde guerre mondiale, je me suis beaucoup interrogée pour savoir si j’avais le droit d’écrire sur le ghetto. Quand j’ai commencé mes recherches, je suis allée voir un historien Juif qui lui-même avait survécu au ghetto et m’a donné le droit moral de publier.


D’où cette connaissance très précise de la géographie du ghetto et de la vie qu’on y menait.


Oui, absolument, j’avais une carte de l’endroit dans la tête, le nom précis des rues et quand je dis que les rations ne dépassaient pas 186 calories par jour et par personne, c’est la réalité.

Je me suis beaucoup documentée grâce à des livres ou à des films, il y a très peu de témoignages directs de la vie dans le ghetto mais je voulais restituer les privations, les maladies, l’odeur de la mort de la façon la plus fidèle qui soit.


Il y a aussi dans votre roman, une grande nostalgie de l’amour vécu dans le ghetto, de la jeunesse perdue, d’où ce retour impromptu de vos deux héros à Varsovie.


Dès mon premier livre, j’ai eu pour but d’écrire une histoire brûlante d’amour sur fond de Shoah. L’amour était essentiel dans ce contexte. C’était une façon d’oublier. A cause du danger, tout était beaucoup plus intense. La peur rendait l’amour encore plus violent, comme décuplé dans la crainte permanente de la mort. On ne pouvait survivre si on n’avait personne à aimer.

En fait, Lilka a très envie de retourner Là-Bas mais son mari Jasha, non. Il y a une part de nostalgie, le désir de retrouver sa jeunesse perdue, le souvenir du Varsovie d’avant alors qu’elle sait très bien que la ville a été détruite et rebâtie et qu’elle ne retrouvera rien. Et c’est ce qui se passe. Comme tout le monde, ils ont envie de retrouver leurs jeunes années, cette envie étant encore plus criante pour eux comme pour tous les gens qui ont tout perdu et se sont reconstruits à partir de rien à l’étranger, à Londres dans le roman. Leur retour est en effet impromptu car ils reviennent sur l’invitation de la Maison des écrivains polonais. Sans cette invitation, ils n’auraient sans doute jamais fait le voyage.


Il y a un très fort sentiment d’enfermement dans votre livre : le train, la chambre d’hôtel dont ils ont du mal à sortir.


Oui, le train a bien sûr une résonance terrible pour les personnages, il est pour eux synonyme de déportation, d’anxiété. Je voulais aussi qu’en revenant à Varsovie, ils aient froid, ils soient glacés à la fois d’horreur et physiquement. Grâce à cet enfermement, il se disent des choses qu’ils n’avaient jamais pu exprimer. Ils peuvent enfin parler de ce qui s’est passé quarante ans plus tôt, tenter de répondre aux questions restées sans réponse. Trop préoccupés par leur adaptation à Londres, leur survie, la carrière de Jasha, devenu un écrivain connu, ils n’avaient jamais pu s’offrir cette introspection. Le fait qu’ils retrouvent les paysages polonais de l’hiver, la neige, la ville de leur enfance, pourtant devenue étrangère les révèle à eux-mêmes. Les lieux de leur passé, de leur jeunesse ne sont plus, sans doute fallait-il ce voyage pour qu’ils le comprennent enfin, la soixantaine venue.


Propos recueillis par Brigit Bontour


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