"L'affaire Touvier", la banalité du mal

L’histoire, vingt ans après

Lauréate du grand prix de la biographie politique en 2015 avec son Pétain, Bénédicte Vergez-Chaignon revient ici avec une étude très pointue sur Paul Touvier, ancien milicien condamné à la prison à perpétuité en 1994 pour complicité dans le meurtre de sept personnes, parce que juifs, à Rillieux en 1944. Il aura fallu cinquante ans pour que Touvier soit jugé : ce délai justifie à lui seul l’enquête de Bénédicte Vergez-Chaignon (qui s’appuie sur les archives), sans compter que l’impact du procès Touvier sur la société française fut très important.


Touvier, un fasciste ordinaire


Notre historienne commence par retracer l’itinéraire de Paul Touvier. Né dans une famille de huit enfants, le futur milicien est issu d’un milieu fortement catholique et imprégné d’antisémitisme. Le décès de sa mère marque le jeune homme qui ne fait pas des études brillantes et rentre, après un service militaire peu glorieux, dans une compagnie de chemins de fer. Touvier se marie une première fois mais son épouse meurt elle aussi en couches. Après la défaite de 1940, il adhère à la légion française des combattants, puis intègre le service d’ordre légionnaire, embryon de la future milice. Touvier adhère à la Révolution nationale et affiche sans complexe son antisémitisme. Chef du service de renseignement de la milice de Lyon, il rackette les juifs de la région et participe à la sélection de ceux qui seront exécutés en représailles à l’assassinat de Philippe Henriot (des années durant, il dira avoir tout fait pour réduire au maximum le nombre des exécutions). A la libération, Touvier se cache. Et c’est là que l’affaire commence…


Le grand mystère


Mis à part une arrestation à Paris en 1947 (et une évasion réussie), Touvier échappe à la justice et à la prison. A la lecture du livre de Bénédicte Vergez-Chaignon, on est assez effaré de voir qu’à partir des années 50, il vit presque au vu et au su de la Police française, installé chez son père. Il effectue plusieurs voyages à Paris, rencontre du monde, essaie même de se reconvertir dans le milieu du spectacle (il rencontre Jacques Brel !). Il bénéficie de la bienveillance de nombreux ecclésiastiques qui le cachent et le financent, persuadés de venir en aide à une victime du temps. Car Touvier, on ne le répétera jamais assez, est un maître manipulateur : il réussira même à se rendre sympathique auprès d’Edmond Michelet, résistant, déporté et ministre du général de Gaulle !


Pourquoi au fond a-t-il réussi à se cacher si longtemps ? Personnage insignifiant, Touvier ? Même chef du renseignement de la Milice, il n’a pas l’envergure de Darnand, Bassompierre ou d’un Bourmont et son rôle au sein de la Milice est mal connu. Dans l’immédiat après-guerre, il ne paraissait donc pas si important et aurait pu presque vivre tranquillement dans l’obscurité s’il n’avait pas cherché obstinément l’amnistie pour ses crimes. Quand Pompidou finit enfin par lui accorder la grâce que le général de Gaulle lui avait refusé (« Touvier ? Douze balles dans la peau ! », c'est du grand Charles!), Touvier attire l’attention des médias, des historiens, de ses victimes, de la police. Il deviendra un symbole, celui de ce « passé qui ne passe pas » et de la participation des français à la solution finale. Le procès Papon a ensuite recouvert celui de Touvier mais le symbole demeure… ce très bon ouvrage de Bénédicte Vergez-Chaignon permet de resituer l’affaire et le personnage dans l’Histoire.

 

Sylvain Bonnet

Bénédicte Vergez-Chaignon, L’affaire Touvier, Flammarion, avril 2016, 430 pages, 21,90 €

 

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