Et si les Trolls étaient moins idiots que les Elfes...




Deux elfes, Farodin et Nuramon, sont envoyés par leur reine pour chasser une bête singulière qui menace le monde des hommes. Dans leur quête, ils sont accompagnés par un humain, Mandred, chef du village de Firnstayn, dans les terres du nord, probablement le personnage le plus attachant et le plus original de la bande, à la fois querelleur, bon vivant, viscéralement attaché à la hache, son arme de guerre préférée et à l'occasion joyeux compagnon des centaures avec qui il partage le même goût des beuveries.


De retour dans leur monde, à Albemark, les deux guerriers elfes découvrent que la reine a banni, dans un univers inaccessible, Noroelle, la femme que tous les deux aiment au-delà de toute raison. La terrible sentence a été causée par les agissements d'un Dévianthar, un très ancien démon, le dernier de sa race et ennemi juré des Elfes, que les trois héros avaient cru avoir détruit sous les traits d'un "homme-sanglier". De retour dans le monde des Humains, suivant un (laborieux) itinéraire initiatique, les trois amis vont dès lors tenter de trouver tous les moyens possibles pour retrouver Noroelle, bravant l’interdit édicté par la souveraine d’Albemark.


La saga fait appel à tous les ingrédients qui font la renommée de la fantasy, convoquant des Trolls, moins idiots que ne le pensent les Elfes, des démons aveuglés par la vengeance, des djinns savants, des oracles insaisissables ou des Nains passés maîtres en tactique militaire. Le dernier tome de la trilogie, plein de fracas, déroule des batailles fantastiques sur terre et sur mer. On imagine sans peine celles de la Grèce unie, au temps de Marathon et de Salamine, contre les Perses à la fin du Ve siècle avant Jésus-Christ.


On regrettera cependant certains passages du roman, surtout au début du deuxième tome, qui manquent singulièrement de cohérence. Si la description des décalages dans le temps (on ne passe pas d'un monde à un autre sans conséquence) et leur impact psychologique sur les personnages sont réussis, le choix de marier des mondes irréels avec des territoires historiques (ceux de l’Antiquité et du Moyen Âge européens) est confus voire poussif. Le traitement des univers parallèles aurait aussi mérité plus de soin. L'auteur ne prend pas le temps de reposer le récit, de décrire plus en détail certains lieux ou personnages. Les Elfes sont soporifiques, parce que ennuyeux et dépressifs. On aimerait les secouer pour qu'ils aillent plus vite et prennent des décisions disons... adultes (les pages sur l'amour de Noroelle, débutées courtoises, deviennent à la longue sirupeuses et au bout de 696 pages affligeantes). Par endroits, la présence de Mandred et des Trolls (ces derniers sont sacrément malins) sauvent une quête qui sombrerait sinon dans la monotonie. Ce défaut dans la narration s’explique en partie par le fait que Bernard Hennen s’est adjoint l’aide d’un ami, James Sullivan (lui-même écrivain), pour écrire son livre, d’où les notes parfois discordantes au milieu de celui-ci.


Un nouveau souffle de la fantasy allemande ?


Après Michael Ende, célèbre auteur de L'Histoire sans fin (Die unendliche Geschichte) adapté au cinéma par Wolfgang Petersen en 1984, les auteurs allemands n’étaient pas nombreux, à l’instar de Wolgang Hohlbein (Lire en particulier La Chronique des Immortels, Atalante), pour contester aux Anglo-saxons leur succès dans le domaine de la Fantasy (1). 


Si le pari n'est toujours pas relevé, force est de constater une certaine vigueur outre-Rhin depuis une quinzaine d’années. Ainsi, au moment où paraissait la série Les Elfes de Hennen, un autre écrivain allemand, Markus Heitz, se signalait dès 2003 par l’écriture d’une vaste fresque consacrée aux... Nains (Die Zwerge, édité en France chez Bragelonne).

 

Sacha et Mourad Haddak


Bernard Hennen, Les Elfes, éditions Bragelonne, décembre 2013, 696 pages, 25 €.

Traduit par Nelly Lemaire et illustré par Didier Graffet.


(1) Sur ce sujet, lire en particulier Jacques Baudou in La fantasy, PUF, collection "Que sais-je ?", 2005, p. 79.

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