Cécilia Dutter, Savannah dream : Liberté assumée

Si vous avez des velléités de tromper votre épouse, de changer de vie, ce roman risque de vous secouer. Julien raconte. Chercheur en écologie au CNRS, il accepte un poste à la Direction de la communication de Coca-Cola à Atlanta où il débarque avec femme et enfants (Hélène et les garçons). Il rencontre une Française, prof de philo, Maud qui l’attire, le déstabilise, le piège. L’adultère est un carnage mais Julien ne pouvait pas y résister. Il ne s’empoisonnera pas comme Madame Bovary ni ne se jettera sous un train comme Anna Karénine ; curieusement, il en sortira blessé à vie mais grandi d’une liberté assumée dans le pardon.

 

Cécila Dutter se met dans la peau de cet homme. C’est là une gageure et la réussite de ce roman. La virilité, la lâcheté, le manque de confiance, l’énergie du désespoir aussi, sont des traits masculins qu’elle décrit avec naturel. La jalousie l’emporte sur l’amertume de la faute. En face de Julien, Maud déploie une stratégie de séduction aussi efficace que terrible. Est-elle perverse ou follement amoureuse ? Réponse à la fin du roman, et encore… Car avec ce don de la surprise, Dutter organise ses coups de théâtre qui laissent sans voix.

 

Savannah dream n’est pas un énième adultère littéraire, un roman de gare chargé d’émotions et de scènes érotiques. Cécilia Dutter emprunte des chemins de traverse ; qu’ils soient psychologiques (les failles en soi qu’on cherche à combler), philosophiques (Pascal contre Nietzsche), intellectuels (sur le sens du désir). Pour cicatriser de l’intérieur, Julien accepte de ruiner ce que la vie a construit. On peut s’arrêter sur le beau personnage d’Hélène. Cette « femme au foyer » comprend tout silencieusement, parce qu’elle ressent dans la profondeur de son cœur les méandres que poursuit son mari. Elle est sa balise : « Hélène est le dernier point de repère auquel me raccrocher. Maud me tue. Je souffre trop depuis que je la connais. L’amour, le véritable amour, n’est pas souffrance. Il n’a rien à voir avec le chaos qui me submerge. Je veux retrouver le calme de ma vie d’avant ; la quiétude de la neutralité ».

 

Cécilia Dutter crée patiemment une œuvre ; non pas une succession de livres au rythme annuel comme beaucoup trop d’auteurs d’aujourd’hui, mais un travail qui creuse un sillon, suit une veine qu’il découvre peu à peu. Parce qu’elle a écrit des romans à l’expression coquine, on serait enclin à la classer dans la rangée des plumes légères. Et puis elle a écrit sur Etty Hillesum, une voix dans la nuit (Robert Laffon, 2010), insistant sur la liberté totale de la philosophe. Il faut lire sa correspondance avec Joël Schmitt sur le désir (Et que le désir soit, Desclée de Brouwer, 2011) qui transforme les questions éternelles en hymne à l’humanité. Le sujet de Cécilia Dutter est à n’en point douter celui de la liberté, non le libertinage, mais la liberté assumée, enfin assumée. Avec Lame de Fond qui a obtenu le prix Oulmont, elle racontait l’histoire d’une quadra qui change de vie et se laisse rattraper par son passé. Avec Savannah dream, elle décrit les emprisonnements intimes qui paralysent, autre hymne à la liberté, mais à rebours cette fois. 

 

Christophe Mory

 

Cécilia Dutter, Savannah dream, Albin Michel, février 2013, 216 pages, 16 €

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