Charles Dantzig, Pourquoi lire ? Parce que !

Pourquoi lire, en effet ? Et pourquoi lire
Pourquoi lire ? Pour connaitre les réponses qu’y apporte Charles Dantzig. « Pour se trouver (sans s’être cherché) », suggère-t-il. Mais il se rebelle contre l’idée qu’un livre serait fait pour les lecteurs : démagogie ! « Nous préférons entrer en contrebande dans la tête de l’auteur ». Un livre est fait pour être. Nous souhaiterions que Dantzig veuille bien en convaincre « les éditeurs ».

 

« Lire pour être articulé », alors ? Il postule que : « Sa lecture terminée, un lecteur ne redevient pas vierge comme un fichier effacé. » Certes non, mais on verra ce point plus bas. « Nous lisons par égoïsme, mais nous arrivons sans l’avoir voulu à un résultat altruiste » : c’est une vision généreuse, mais peut-être pas toujours exacte : je ne peux pas dire que la lecture de Schopenhauer m’ait rendu altruiste.

 

« Certains lisent par haine, » observe-t-il. Mais ses commentaires étant quelque peu énigmatiques, on passe à la variation des modes : il y a trente ans, Belle du Seigneur était un grand roman, en 2010, c’en était un mauvais. « Lire pour se contredire » ? Allons ! Au fur et à mesure qu’il recense les raisons de lire, non sans quelque mauvaise foi enjouée, Dantzig dénoue sa cravate et se laisse aller à dire ce qu’il pense, lui, de certaines lectures. Il avait jugé que Le Ravissement de Lol V. Stein et La Maladie de la mort, d’une certaine Marguerite D., étaient des chefs-d’œuvre ; il y revient : « C’est un genre, le chef-d’œuvre ostensible. » A-t-il relu, à propos, Le Marin de Gibraltar ? Et L’Amant ? Il n’en parle pas. Nous eussions pourtant été curieux de son avis. Si la haine un jour me possédait, j’indiquerais ces deux livres à une écrivaine en herbe que je voudrais noyer : voilà comment il faut écrire ! Remarquez que je n’ai pas eu besoin de le faire…

 

Saluons au passage la bordée contre Céline, dans une époque de mystérieuse célinolatrie.

 

Vers la fin de ce livre, qui ressemble à soirée querelleuse, il déclare : « La meilleure raison de ne pas lire, la voici : pour réfléchir. Car enfin, tout le temps que nous lisons, nous sommes comme le serpent devant le flûtiste. »

 

Eh non : ni quand j’ai lu ni quand je relis Splendeur et misères des courtisanes ou Le Maître et Marguerite je n’ai ondulé ou n’ondule de la tête : au contraire, ces romans aiguisent la lucidité. Dantzig parle beaucoup de romans, d’ailleurs, il ne parle presque que de cela ; or, il y a des livres qui n’en sont pas, ceux d’histoire et de science, par exemple. On ne se demande jamais pourquoi on les lit, on est trop heureux de les avoir en main : ils vous changent le cerveau. Parce qu’on lit pour apprendre.

 

Merci pour cette instructive soirée, cher Dantzig.

 

Gerald Messadié

 

Charles Dantzig, Pourquoi lire ?, Essai, Le Livre de Poche, novembre 2011, 224 pages, 7,10 €

 

6 commentaires

Bien vu monsieur Messadié : arrêtons de croire que le roman seul fait la littérature ! 

et ajoutons que sur le sujet Daniel Pennac, qui n'est pas admirable en tout, avait donné un bon livre sur la lecture, d'une riche simplicité

J’invite aussi le lecteur à prolonger le débat en lisant Sur la lecture de Proust, un petit livre qui apporte certaines réponses à la question que pose Charles Dantzig dans son titre. On y découvre notamment que les conceptions de Proust diffèrent radicalement (et étonnamment)  de celles de Ruskin. Pour ma part, je n’ai pas encore lu le livre de Dantzig, mais, avec cet ouvrage, tout comme avec son dernier livre consacré à la lecture des chefs-d’œuvre, il pose une question incontournable à l’heure de l’éclosion ici et là de cabinets de bibliothérapie, (lire pour se soigner) et à une époque où les Français, apprend-on avec regret, écrivent davantage qu’ils ne lisent…

parce que lire répare le monde, la vie, le Moi. Surtout. Lire efface les petits arrangements. Lire panse les plaies. Lire donne à jouir. Impose des rêves. Ouvre des champs. Étire le cosmos. Lire. Plutôt que dire.

Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture ne m’ait ôté écrivait Montesquieu. Dans un précédent message je parlais de la bibliothéraphie, et je remarque que le commentaire d’Anabelle évoque aussi la lecture comme thérapie. Car la catharsis aristotélicienne attribuée à la tragédie peut tout à fait être transposée au roman et au poème. ( En revanche, je ne crois pas que l’on puisse soigner un syndrome précis avec un livre précis, ce que suggèrent précisément les psy bibliothérapeutes)  Et je considère la littérature, en tant que tradition "culturelle", comme le substitut tardif, ou succédané, du mythe perdu dont notre époque ne cesse de pleurer la disparition. On peut alors évoquer la vertu curative  de ce que Baudrillard appelle une “résurrection caricaturale” (sorte de renovatio temporis, espoir de renouer par quelque astuce avec la tradition.) Oui, Anabelle, les livres étirent le cosmos, et les mots écrits guérissent de bien des maux. Alors pourquoi lire ?demande Dantzig : pour se rendre de la pharmacie… à la librairie !

Alors sur votre ordonnance je vous prescris une demi-heure de Flaubert chaque matin, pendant trois semaine, après ça normalement vous irez mieux