Charles Péguy : Œuvres poétiques et dramatiques

Cette édition des Œuvres poétiques et dramatiques de Charles Péguy (1873 – 1914), publiée en l’année du centenaire de sa mort, s’inscrit dans la suite logique des trois volumes d’Œuvres en prose complètes édités dans la Pléiade par Robert Burac en 1987, 1988 et 1992.

Le présent volume remplace donc celui édité par le fils aîné du poète, Marcel Péguy, en 1957 – augmenté en 1975 – qui avait succédé à une première édition des Œuvres poétiques complètes dans la Pléiade, en 1941.

On le voit, Charles Péguy est depuis les origines de la collection, l’un des piliers qui ont bâti sa réputation. Car Péguy est aussi un mystère fait homme : essayiste, dramaturge, poète, il souffre de ces tiraillements de l’âme qui lui font courir plusieurs lièvres à la fois, quitte à devoir user de pseudonymes (Pierre Deloire et Pierre Baudouin).

 

Péguy doutera toute sa vie d’être un vrai poète, de se laisser aller aux douceurs de cette sirène qui détourne le moraliste et le militant de son devoir pour l’entraîner vers le culte du moi et les pentes savonneuses de l’orgueil… Auquel vient se greffer le dilemme de l’usage : comment faire pour passer de la phrase au vers ? Car Péguy ne doute pas que ce soit le vers qui fasse le poète. Non le vers libre, qui s’épanouira dans ses Mystères, mais le vers régulier, régulièrement ajusté sur la page pour maintenir cohérente la strophe et lisible le message. Car Péguy aime que tout soit bien ordonné : là où nous serions tentés de déceler la poésie au cœur de sa prose, dans la profusion des images et le rythme de la phrase, l’auteur s’évertue à maintenir les distinctions d’usage : le volume de Morceaux choisis des « Œuvres poétiques » (1912-1913) qui paraît sous son contrôle en 1914 aux Éditions Ollendorff ne contient que des poèmes en alexandrins.

 

« Un penseur qui porte en lui un poète », avait écrit Pierre Péguy à propos de son père. Il semble bien que ce soit sa foi chrétienne qui lui ait permis de laisser libre champ à son âme de poète, le faisant passer de la posture de justicier à celle de suppliant, en quelque sorte de la prose polémique à la prière versifiée, selon Jean-Noël Dumont. Mais poète ne veut pas dire pour autant hors du monde et aveugle aux autres. Charles Péguy écrira la poésie du peuple, la poésie du pauvre ! S’il demeure un intellectuel engagé, un polémiste enragé, ce penseur de génie au verbe indomptable se fera poète en laissant la parole à un autre, ce « Dieu » qui « dit » ce qu’il a à dire par la bouche de Madame Gervaise dans les Mystères.

 

Si la prose de Charles Péguy apparaît pour certains par trop fastueuse et désentravée au point de griser les amateurs tout en rebutant le bon peuple de France, sa poésie, elle, est pour tout le monde ! Certes, il y a là une originalité de la part de Péguy en contrepied de son temps qui veut que le poème soit une lecture réservée, élitiste. Car il ne veut pas être lu – et entendu – par un petit nombre, il tourne donc le dos à cette modernité qui veut rompre avec le discours de façon radicale. Pour faire venir à lui ce public que l’œuvre devra susciter, Péguy poète ne cherche pas à l’attirer en imitant le parler populaire ; il se refuse à toute simplification, à tout artifice dégradant. C’est avec son bagage d’humaniste et de classique qu’il forge un langage poétique roboratif et accessible à tous.

 

Et quand aura volé la dernière hirondelle,

Et quand il s’agira d’un bien autre printemps,

Vous entrerez première et par les deux battants

Dans la cour de justice et dans la citadelle.

 

On vous regardera comme étant la plus belle,

Le monde entier dira : C’est celle de Paris.

On ne verra que vous en céleste pourpris,

Et vous rendrez alors vos comptes de tutelle.

(Sainte Geneviève patronne de Paris)

 

L’écriture de Charles Péguy est une parole adressée (tous genres confondus), c’est une « épopée de la voix » (Henri Meschonnic) qui lutte contre la désincarnation du verbe et refuse le complaisance narcissique. Rien à voir donc avec Claudel – qui d’ailleurs ne l’apprécie guère, critiquant son style. Péguy remarqua très vite ce qui les opposait : « Claudel manque de simplicité. Il recherche l’extrême, le périlleux, l’exceptionnel […] Moi, je prends le chemin de tout le monde, je reste avec tout le monde, avec tout ce peuple qui vit, c’est le cas de le dire, à la grâce de Dieu. »

 

Ce sera, à coup sûr, la poésie qui sauvera Péguy du sentiment d’échec, de la culpabilité, de la tentation du néant, car tant qu’il crée, il est dans l’être, précise Claire Daudin dans sa préface. Après avoir été honoré comme prophète de la résistance, déchu comme prophète de la révolution nationale, et largement méconnu voire oublié de (presque) tous, l’œuvre de Péguy subit une traversée du désert dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Comme si l’on voulait oublier que ses écrits politiques anticipèrent les ravages des totalitarismes. À peine ose-t-on reconnaître du bout des lèvres que sa condamnation de l’argent nous donne les instruments pour critiquer l’ère de la financiarisation à outrance... comme si la spéculation avait débutée avec la bulle Internet des années 2000 !


Mais de tous ses écrits, c’est sa poésie qui semble la plus inactuelle, or elle est ce qui est le plus indispensable pour nourrir notre faim et notre soif ! Une parole sensée, bonne et juste, point candide ou pavée de (trop) bonnes intentions démagogiques (comme l’on en entend trop souvent aujourd’hui), non, seulement une parole droite qui revêt immédiatement et sans pli l’âme charnelle, ce corps animé qui est notre partage. Sans la violence de la prose, la poésie de Charles Péguy nous emmène à son rythme et nous nous laissons faire par ce meneur de mots, sans toutefois nous bercer d’illusions, mais sans, pour autant, renoncer à nous sauver... tous ensemble.

 

 

François Xavier

 

PS – Ne bénéficiant d’aucune protection (contrairement à la confortable maison bourgeoise de Léon Blum, dans la ville voisine de Jouy-en-Josas), la modeste maison que l’écrivain patriote et catholique Charles Péguy – tombé au champ d’honneur il y a cent ans – occupa à Gometz-le-Châtel (dans l’Essonne) va être rasée… et remplacée par un HLM.

 

Ce volume contient :

Jeanne d'Arc - La Chanson du roi Dagobert - Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc - Le Porche du Mystère de la deuxième vertu - Le Mystère des saints Innocents - Ballades du cœur qui a tant battu - Les Sonnets du Correspondant - Les Sept contre Thèbes - La Tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d'Arc - Les Sept contre Paris - Châteaux de Loire - La Tapisserie de Notre Dame - Sainte Geneviève, patronne de Paris - Ève.

 

 

Charles Péguy, Œuvres poétiques et dramatiques, édition publiée sous la direction de Claire Daudin avec la collaboration de Pauline Bruley, Jérôme Roger et Romain Vaissermann – Nouvelle édition, Gallimard, coll. "Bibliothèque de la Pléiade", n°60, septembre 2014, 1888 p. – 67,50 € jusqu’au  31 décembre 2014 puis 75,00 €

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