Charles Pépin, La Joie : Changer notre regard sur le monde ?

Écrire un remake de Camus sous un titre de Bernanos, être agrégé de philo et publier chez un éditeur méconnu, voilà un bien mauvais pitch. Charles Pépin fait fi de tout cela : il signe un bijou qui se lit en un souffle et aide à respirer. La Joie, disons-le d’emblée est un de ces livres rares qu’on dévore d’un coup d’un seul et qui vous accompagne ensuite par ses saveurs nouvelles.

 

C’est l’histoire d’un homme jeune, Solaro (Solaire ?), un être lumineux pour qui tout est heureux ; non qu’il ait de la veine (au contraire !), mais parce que le monde est comme il est, recelant ce qu’il faut de beauté, de bonté, de vérité. Solaro ne vit pas d’espoir, « parce que l’espoir est un poison : un poison qui nous enlève la force d’aimer ce qui est là ». Aimer ce qui est là, non s’en contenter comme un imbécile heureux, mais aimer…

 

Il aime Louise et faire l’amour avec elle : « Ce n’est pas son corps, sa nuque à elle que je serre fort, c’est le miracle même des corps ». Il s’entend bien avec son frère Mathieu, pourtant si différent de lui : « Mathieu a toujours été comme ça, mélancolique jusqu’au mutisme ou en colère contre le monde entier ». Solaro n’est pas Candide pour autant. « J’ai pensé qu’elle était là, l’injustice, la vraie. Il y a ceux qui toute leur vie souffriraient, incapable d’aimer ce qui est, et il y avait les autres, les autres dont j’étais ». Or, les embrouilles ne manquent pas : le cancer puis le décès de la mère, la solitude du père, le refus des banquiers pour l’aider dans sa petite entreprise, les embouteillages, la violence de la banlieue, des coups de feux échangés… Mais il y a « cette chose qui monte dans le ventre et qui parfois surgit quand je ne m’y attends pas. Je crois que c’est la Joie. C’est le mot qui me vient ». La société ne comprendra pas cette singularité.

Cette joie ressemble à l’essence même de notre humanité. Le monde est ce qu’il est. Pourquoi en changer ? Ne devrait-on pas changer notre regard sur le monde ?

 

Charles Pépin déploie dans ce roman, cette philosophie stoïcienne, comme l’étendard de la liberté, même si cette histoire passe par la prison.

Jouant des paradoxes livrés uniquement par des situations contradictoires (et non des concepts), sans effets démonstratifs, il poursuit son récit en enquête. Pépin montre une surprenante virtuosité notamment quand son narrateur exprime sa joie, ses joies : jamais de béni-oi-oui ni d’extases soldées ni d’enthousiasmes forcés. Les choses sont ce qu’elles sont : à nous de coïncider avec.

 

On pourrait prendre Solaro pour un débile léger et ne point se sentir concerné par son histoire. Le roman prend une forme désespérément comique quand les médecins et la science se penchent sur son cas : le cancérologue de sa mère, des psychiatres, psychologues, infirmier… Pourquoi la science cherche-t-elle à l’expliquer cette folle idée de vivre intensément ? Elle n’y parviendra pas.

 

Tout y est limpide et sans jamais citer un des philosophes qu’il enseigne, Charles Pépin transmet un savoir, sa quête, invitant le lecteur à s’interroger sur ce monde et sur lui-même. N’est-ce pas cela, la philosophie ? Pour la Joie.

 

Reste à féliciter l’éditeur, Guillaume Allary, ancien de Flammarion, qui ne publie que quinze livres chaque année pour retrouver « l’essence du métier avec les outils d’aujourd’hui ». Un éditeur à suivre.

 

Christophe Mory

 

Charles Pépin, La Joie, Allary éditeur, février 2005, 184 p., 17,90 €

 

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