« Le Verbiaire », de Chaunes et Sylvoisal : Le baroque dans l’ordre alphabétique

Vaste est le dessein qui a présidé à cet ouvrage. Sa première édition, publiée à L’Âge d’Homme en 1985, trouve aujourd’hui un prolongement qui en renforce et renouvelle, si l’on peut dire, l’exhaustivité. Il se situe dans la lignée des grands classiques du genre, le Littré, le Larousse, le Robert. Voire d’un éminent ancêtre, Antoine Furetière, que les auteurs, faisant preuve d’une ingratitude nonpareille, omettent de citer parmi les génies qu’ils célèbrent dans leur avertissement au lecteur.  Quoi qu’il en soit, cette nouvelle mouture témoigne que l’esprit encyclopédique, loin d’être suranné, ou même mort, comme le prétendent certains, abreuve encore l’inspiration de savants tels Chaunes et Sylvoisal.

 

De ces auteurs, on connaît les œuvres poétiques, souvent écrites à quatre mains. Voire à six mains, quand Jean Berteault vient compléter leur  phalange – si l’on ose écrire. Qu’importe, du reste, leur nombre ? Ils sont notre Pléiade à nous. Leur attachement au Verbe, leur inspiration inépuisable leur ont déjà dicté  une œuvre considérable, et pas seulement dans le domaine quantitatif. Il n’est de sujet qu’ils n’aient abordé. Avec, toujours, l’objectif de défendre et d’enrichir la langue française – tel était, aussi, le but que s’étaient assigné Ronsard et Du Bellay. De réveiller les vocables endormis De les métamorphoser  pour leur offrir une nouvelle jeunesse.

 

Impressionnant, le bagage de Chaunes et de Sylvoisal. Le présent ouvrage en témoigne. Leurs valises sont pleines de mots. Leurs mots sont pleins de valises. Au hasard : moribonderie, jeansainisme, gasconnerie. Ou encore gaucho, dont on devine qu’il ne saurait être qu’un « gauchiste bolivarien ». Ce verbiaire, que l’on pourrait, sans trop se forcer, lire bréviaire, (la connotation n’aurait rien d’outrancier : ses auteurs ne sont-ils pas les missionnaires du français dans sa vocation encyclopédique  ? Les desservants d’un culte, celui du langage et, au-delà, de la civilisation ?), ce verbiaire, donc, regorge de trouvailles. De néologismes. De définitions dont la saveur se dévoile au deuxième ou troisième degré, voire plus. Comme ces bonbons qu’il faut longtemps garder en bouche pour en apprécier tout le suc. Ou comme les Silènes de Rabelais dont on peine, de prime abord, à saisir toute la sagesse qu’ils dissimulent.

 

Leur propos est illustré et justifié par des citations. Inventées, bien entendu. Ce sont les meilleures. Les plus pertinentes. Ils n’hésitent pas à se citer eux-mêmes. On n’est jamais si bien servi. Les  références à leurs propres œuvres, et même, à l’occasion, à leur correspondance privée, voisinent avec des passages empruntés à des écrivains de tous les siècles, de l’Antiquité à nos jours. On voit par là qu’ils se produisent en compagnie choisie. 

 

 Bref, cet ouvrage tient autant du lexique que du dictionnaire encyclopédique. Aucun savoir ne lui est étranger. Il se peut ouvrir au hasard. Se prendre, se laisser, se reprendre. Nul besoin, comme dans les romans,  de se souvenir d’une intrigue compliquée. Les amnésiques y trouveront leur compte. Pas seulement eux, bien entendu. Ce qui est sûr, c’est que chaque mot réserve sa part de surprises et que, comme écrivait avec pertinence l’un de leurs confrères connu pour ses biographies, « Avec Chaunes et Sylvoisal, toujours l’inattendu arrive ».

 

Jacques Aboucaya

 

Chaunes et Sylvoisal, Le Verbiaire, nouvelle édition, Aux Poètes français, avril 2015, 236 p., 9,72 € (www.chaunes-sylvoisal.com).

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