Capturer l’éphémère

Après Proust qui recherchait ce temps perdu qui jamais ne reviendra et Léo Ferré qui témoigna de son passage, voilà qu’un artiste, Christian Jaccard, peintre, plasticien, pyromane et grand jouisseur devant l’éternel de ces instants de magie pure que sont l’extase et la combustion, se livre à nos yeux ravis dans un écrin de pierres et de béton, avec vue sur mer, en la célèbre villa Tamaris, à La Seyne-sur-Mer. Inutile de vous préciser l’impératif de l’expédition à mettre sur pieds, un billet pris à la volée et me voilà filant à plus de trois cents à l’heure à travers les campagnes françaises vers mon rendez-vous avec l’éphémère magnifiée…

 

Il y a si peu d’artistes qui comptent, en ces temps troublés par le mercantilisme outrancier qu’il convient de savoir faire le tri, et comme toujours extraire le bon grain de l’ivraie n’est pas si facile. La cotation subit les mêmes oscillations que les cours de la bourse, les galeristes ne regardent que le montant de leur agios, alors ? Et si, pour une fois, l’Institution savait raison garder et porter son action vers ce qui a raison d’être, non ce qui est à la mode ? Gageons que nos musées et autres DRAC sauront encore faire le bon choix.

Alors, pour célébrer quelques décennies de création, Christian Jaccard a souhaité une exposition itinérante : quitte à jouer dans le registre de la rétrospective, autant que tout le monde en profite.

 

Ainsi, ces Énergies dissipées agiront comme un livre ouvert sur le parcours du plus français des artistes suisses… Un montage envoûtant qui mélange vidéos, sculptures, tableaux, livres. Un labyrinthe pour tenter d’aller débusquer l’énigme de l’œuvre, aussi bien saisie telle qu’elle, dans ses concrétions improbables, qu’à l’aune du processus éphémère de sa poésie, toute de substrats et autres cendres exprimée : « Les brûlis, principes actifs, et les entrelacs, éléments agissants, oudrissent leurs trames spécifiques, dont les énigmes respectives se répondent en écho », avant l’artiste.

 

Vous l’aurez compris, c’est la variation qui prime : cette variété qui s’exprime dans son art comme la variation de la vie qui résulte, à chaque fois, d’un accident. On s’amuse du hasard, on provoque la destinée : qui sait ce que le feu va faire, qui peut domestiquer la fumée ? Christian Jaccard s’y emploie dans l’humilité d’un artiste qui sait que toute rencontre est vouée à jouer sa propre partition.

 

Chaque exposition sera différente, cela fait partie du jeu, du Domaine de Kerguéhennec à la Villa Tamaris, de l’abbayeSaint-Jean-des-Vignes à Soissons ou encore l’Espace d’art contemporain AndréMalraux de Colmar… Quelle énergie dispensée !


On reconnaît le clin d’œil de l’artiste qui, s’il s’amuse à parler sérieusement, reste aussi un enfant émerveillé par la beauté du monde et le travail de ses pairs. Ne sachant pas sculpter la pierre, lorsqu’il reste en arrête devant les statues du Jardin du Luxembourg, à Paris, il les prend en photo, réalise de grands tirages, peint dessus comme s’il les emmaillotait de ses célèbres nœuds, puis les reprend en photo, les met sous verre et peint derechef sur le support ainsi créé : plasticien dans l’âme, Jaccard s’approprie ainsi une lecture dans le hasard du façonnage. Énergie exprimée dans la mixité de son concept supranodal et du dessin, beauté figée à l’esthétique singulière, photographie exposée pour un public conquis…


Il convient donc de s’amuser dans cette exposition, de prendre du plaisir et d’oublier bien vite l’agora. Si l’œuvre qui s’estompe doit être provisoire, cela n’est pas une règle d’or, et si parfois le cœur se sert à la vision des films projetés sur des performances éphémères produites dans des friches, il demeure aussi l’œuvre réelle bien ancrée sur des toiles, dans des cadres, accrochée aux murs pour que nous puissions nous asseoir en face. Les regarder, les sentir, les deviner, s’y perdre, en ressortir, revenir, se figer, s’oublier… Ces papiers calcinés au nombre d’un « procédé de marquage et d’imprégnation », portent l’empreinte évasive de la confrontation de la trace et du souvenir…

 

Deux préoccupations dansent autour de Christian Jaccard, s’amusant à le courtiser dans son impossible variation, ce nombre d’or capturé dans la dualité qui fait osciller ses choix : d’un côté sa recherche sur l’énergie du feu, et de l’autre sur celle des « nœuds, appréhendées comme forces constructives, voire complémentaires, bien qu’elles soient antinomiques. » Voilà la démarche suivit avec application, sérieux et abnégation, depuis des décennies. Une quête qui produira des empreintes, témoins de cette « confrontation des énergies fortes, violentes, fulgurantes, et des énergies souterraines, des forces d’inertie » matérialisant la diabolique gestion du temps. Jaccard osera alors tenter de relier deux mouvements antinomiques : celui qui unit de celui qui délie, la rencontre impossible du feu et du nœud ; celle d’une « énergie fulminante parallèlement à celle très compulsive des nœuds. »

D’ailleurs, à propos de son œuvre sur papier (dont ces extraordi-naires cibles), Jaccard précise que ce sont des « partitions qu’on visualise en cours de lecture du texte et dont l’odeur particulière de la combustion est un complément sensoriel non négligeable. »


François Xavier

 

Dominique Chateau, Christian Jaccard - Énergies dissipées, relié, 240x300, Bernard Chauveau éditeur, coll. "Les Cahiers", juin 2011, 144 p.-, 22,50 euros

 

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