La Nuit, le jour et toutes les autres nuits, du vrai Audiard

Les éditions Pocket ont l’excellente idée de ressortir le dernier livre écrit par Michel Audiard. Pas tout à fait un recueil de souvenirs, pas tout à fait un roman. Il se situe entre les deux dans un flou plus douloureux qu’artistique. 

Je l’ai relu. Pour la énième fois. Le plaisir est toujours au rendez-vous. Plaisir de lire une écriture maîtrisée, un verbe incroyable. Jamais Audiard n’a été aussi proche de Céline. Certaines phrases sont si belles, si fortes qu’elles valent d’être relues encore et encore. J’aimerais les retenir par cœur, ma mémoire s’y refuse. On n’emprisonne pas une colombe. 

Pourtant si ce livre fait du bien il fait aussi du mal. Il réveille en soi des souffrances, rouvre des cicatrices, sème le trouble. C’est là que se situe le vrai Michel Audiard. Loin de la cuisine des Tontons flingueurs, des élucubrations de L’Incorrigible, des délires de Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages. Audiard souffrait, c’est une évidence. Son affliction déchire chaque paragraphe. Ne dit-on pas que l’on écrit mieux dans la douleur que dans le bonheur ? La vieille maxime qui veut que les gens heureux n’ont pas d’histoire trouve là son terreau. Il en a raconté tellement des histoires, le Michel, des comiques mais aussi des déchirantes, qu’il ne pouvait pas être pleinement heureux. Ainsi sont les grands auteurs. 

Il convient, d’ailleurs de restituer La nuit, le jour et toutes les autres nuits dans son contexte. Ce brûlot qui semble écrit d’un trait de plume rageur est né au lendemain de la mort du fils de Michel Audiard, François, tué dans un accident de la route en 1975 à vingt-six ans. L’auteur l’évoque d’ailleurs dès la première page : 

"Je n’ai pas du tout l’esprit à jouer… un certain temps déjà que je ne joue plus… à rien… depuis qu’une auto jaune a percuté un pont sur l’autoroute du Sud et qu’un petit garçon est mort."

Même si Michel, dans le reste du livre, parle peu de ce fils disparu, on le sent présent derrière chaque ligne. Sa mort plane, assombrissant le propos  qui n’est déjà pas férocement comique. Il y est beaucoup question de l’Occupation et de son triste corollaire, l’épuration. Il y est question d’un autre enfant, perdu dans le bombardement du quartier de La Chapelle, dans la nuit du 20 au 21 avril 1944 (qui fit 642 morts et 2000 blessés), d’une famille décimée par l’accident ferroviaire du Paris-Hendaye, d’une femme lapidée par de pseudo-résistants, d’un chien souffrant jusqu’à sa dernière heure, d’une fille rasée et marquée par l’infamie... Il y est aussi question de clochards, de gens déchus et même d’une richissime rombière qui fait plus pitié qu’envie. Les personnages se bousculent au portillon du souvenir d’Audiard. Il les restitue à sa manière, tronquant les vérités, traficotant les anecdotes. Rien n’est faux, tout n’est pas vrai.

Si le propos est volontairement confus, si l’auteur rebondit d’un sujet à un autre, le cœur du livre inchangé. Et ce cœur c’est celui de Michel Audiard. On ne s’amuse pas forcément à la lecture de ce livre, comme on ne s’amuse pas toujours à celle du Voyage au bout de la nuit ou de Mort à crédit. C’est pas fait pour ça. C’est fait pour rappeler que l’écriture est un art que bien peu maîtrisent  que les souvenirs sont des poignards que le temps ne parvient pas à émousser. 

"Chaque journée qui finit est une journée de moins à soustraire du temps me séparant encore de ceux que j’ai perdus. Les autres, ceux d’Azincourt, de Douaumont, du Bazar de la Charité, de Stalingrad, du Pakistan, je m’en branle !… C’est clair comme ça ?…"

La Nuit, le jour et toutes les autres nuits fut salué par une bonne frange de la critique et reçut même un prix, celui, très méconnu, des Quatre Jurys. Bien sûr, Audiard aurait aimé le Goncourt mais il se consola en se remémorant que Céline lui-même en fut écarté. Par ce livre, dernier d’une série de trois, Audiard confirma ses talents d’écrivain. Impossible de lui refuser ce titre. Bien des scribouillards s’enorgueillissent d’un tel blason, fourbissent des milliers de pages, sans jamais atteindre la maestria d’une phrase d’Audiard. Chapeau bas. Ou plutôt, casquette basse !

L’ouvrage fourmille tellement de personnages qu’il est difficile de trier le bon  grain de l’ivraie – voire de l’ivresse -  et, surtout de mettre de vrais noms sur des silhouettes inévitablement pittoresques. Qui était cette Paloma de Sweert, de son vrai nom Paloma Mandarez, née Chanu, épouvantablement riche, cliente du Ritz dix ans durant, propriétaire de divers théâtre parisiens et commanditaire d’une pièce érotico-politique ?...  Personnellement, je n’ai pu que deviner qui se cache derrière le dénommé Vladimir Choucroum, producteur de cinéma ayant un pied à Paris un autre à Papeete. Il s’agit de Paul-Edmond Decharme qui commanda à Michel un scénario à la condition sine qua non qu’une partie de l’histoire se déroulât à Tahiti ou le monsieur avait des intérêts financiers. Ainsi naquit Tendre voyou, médiocre film de Jean Becker avec Jean-Paul Belmondo en séducteur patenté. 


Philippe Durant

Michel Audiard, La Nuit, le jour et toutes les autres nuits, Pocket Editions, septembre 2012, 222 pages

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2 commentaires

Votre critique m'a donné envie de lire ce livre d'Audiard que je ne connaissais pas.

Je vous en remercie. 
C'est effectivement un excellent livre que je recommande. 

Vous en parlez bien, très bien même...Merci.