Je vous trouve très conformiste : quand le cinéma se mord la queue

Voici un livre salutaire. Et même nécessaire. Au titre particulièrement bien choisi puisqu’il rappelle que notre cher et poussif cinéma français s’engonce dans des clichés et, au bout du compte, se répète dans une routine qui finit par devenir laborieuse. Pierre Bas a décidé de démonter les rouages de cette grosse machine qui tourne à vide et le fait avec un don de fin observateur pimenté d’humour. Pour autant, il ne tire pas sur tout ce qui bouge (ce que je regrette !). Il a ses propres points de vue et les défend ardemment. Points de vue que je ne partage pas toujours : je ne sauverai pas une seule image de cette protubérance qu’est La Vie de Jésus et j’ai beaucoup ri à Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre où j’y ai retrouvé l’humour de Goscinny accompagné des gags de Chabat.


Il n’en demeure pas moins que ce livre fait du bien. Du bien à tous ceux qui en finissent presque par avoir honte de leurs goûts. Dans un septième art soumis aux diktats de la critique, a-t-on le droit de dire que l’on s’est ennuyé au Dernier métro ? Il est plus convenable de regretter que Camping ne soit qu’une pâle photocopie des Bronzés que de soutenir que les films d’Assayas sont d’un ennui pesant (idem pour son alter ego Carax) ? (il s’agit là de mon point de vue et non de celui de l’auteur du livre, par ailleurs ardent défenseur de l’Olivier et du Leos)


Pierre Bas dit ce qu’il pense et pense ce qu’il dit. Action courageuse de la part d’un critique et d’autant plus louable. Je vous trouve très conformiste est d’ailleurs plus d’un livre d’amoureux du cinéma que de critique. Bras regarde les films les yeux ouverts (il vaut mieux !) mais aussi l’esprit ouvert (fortement déconseillé quand il s’agit d’une production française). Il n’a aucun à-priori et à peine quelques partis-pris. Quand il se cale dans son fauteuil de spectateur c’est pour voir un film. Peu lui importe le nom du réalisateur, l’œuvre originale, le fric dépensé. Le film est bon ou pas. Point barre. Et si, possible, le film est novateur ou pas.


Car quand, comme lui, on se farcit des centaines de kilomètres de pellicule (même si on est passé à l’ère du numérique) qui ont pour prétention de faire du cinéma, on a forcément l’impression de redites. On a déjà vu telle scène, déjà vécu ces émotions frelatées, déjà entendu ces répliques mal fagotées. Le cinéma français se répète (et moi aussi).


Bas a donc répertorié les genres qui sous-tendent notre production nationale auxquels il a donné des noms pertinents (films France d’autrefois, films benêts au grand cœur, films Assistance Publique…). Et comme il est gentil avec le lecteur, il en rappelle les clefs (p 408) : « Pour découvrir à quel genre appartient un film, rappelons donc des idées simples et fédératrices inhérentes à chacun : « La campagne est la mère patrie de chaque Français » pour le film pique-nique, « La France c’était mieux avant » pour le film France d’autrefois ; « Le cinéma français est un cinéma littéraire » pour le film de Prestige ; « On fait des films Américains mieux que les Américains » pour le film gallo-américain ; « Il y a beaucoup de misère mais les Français ont le cœur sur la main » pour le film Bonne conscience, etc. »


La construction du livre est simple : pour chaque genre une présentation et, surtout, le film qui a imposé ledit genre. Un classique (souvent assez ancien alors que tous les autres films présentés datent du XXIe siècle) puis, fiche par fiche, les « copies » démontées, saluées ou décriées.


Puisque nous nous trouvons dans un salon littéraire, penchons-nous sur l’un des genres français majeurs : l’adaptation des « grands » romans de notre patrimoine. Il y a les anciens qui donnent souvent naissance à des productions académiques destinées aux scolaires. Il y a les modernes censées insuffler un vent nouveau. Bas ne s’y trompe pas et écrit avec pertinence (p 84) : « Carrère, Claudel, Nothomb, Houellebecq : voilà des écrivains qui nous disent la France d’aujourd’hui. Enfant perturbé, pianiste qui décide de tout reprendre à zéro, procureur misanthrope, employée de bureau mutine, fonctionnaire neurasthénique, autant de héros ordinaires. On est entré dans l’ère des médiocres ; la littérature contemporaine célèbre les hommes sans qualités. Récits intérieurs, vacuité narrative et stylistique. (…) Exit le romanesque, les récits fleuves, le lyrisme, fût-il intérieur. Les chasseurs de prix littéraires explorent un univers qui, en théorie, devrait peiner à s’incarner au cinéma, bien souvent considéré comme un art de l’action. Ce n’est pas grave : le cinéma, bien souvent, s’adaptera à ces « grands » auteurs : il en fera des films vagues aux enjeux flous. Flux de conscience, introspection, récit lâche : telles sont les recettes d’une nouvelle catégorie de films littéraires destinés à faire partager au public le plus large l’ennui de la lecture. »


Je vous trouve conformiste ne se lit pas d’une traite. Il se picore. On grignote une fiche de film puis une autre et ainsi de suite. On sourit, on n’est pas d’accord mais on ne peut qu’apprécier la pertinence de l’auteur. Tous les cinéastes devraient l’avoir sur leur bureau pour éviter de copier sur le film du voisin. Tous les spectateurs devraient l’avoir dans leur besace pour se rappeler que le cinéma doit d’abord procurer du plaisir et que les ayatollahs de la critique ne doivent jamais nous rendre honteux de nos choix (quoique certains choix, chez certaines personnes, révèlent des failles psychologiques nécessitant un traitement urgent).


Et puisque j’aime bien donner des conseils à la noix, je suggérerai à M. Bas de rédiger une bible des clichés du cinéma français (ce qu’il fait en partie). Un vrai gros bouquin répertoriant les répétitions. Utile pour les scénaristes et pour les crétins qui, comme moi, se souviennent d’avoir déjà vu telle scène sans savoir dans quel film ! Tout de même, je lui dois de me rappeler que le coup de la dispersion des cendres (au centre du prochain Comme des frères) était déjà dans Le Premier jour du reste de ta vie et Ensemble, c’est tout (entre autres !).

 

Philippe Durant


Je vous trouve très conformiste, Panorama impertinent du cinéma français, Pierre Bras, Ed Vendémiaire, 415 pages, octobre 2010, 26 €

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