"La Voie de l'ennemi" : Deux hommes dans la poussière

Les remakes des polars français ne sont pas si fréquents. Oublions Le Deuxième souffle d’Alain Corneau pour nous consacrer à Deux hommes dans la ville de José Giovanni où l’éducateur pour délinquants (Jean Gabin) avait cette phrase : «Méfiez-vous, parce qu’à force de chercher un coupable, on le fabrique. » 


Pas tout à fait un polar, d’ailleurs. Plutôt un drame qui avait deux objectifs : dénoncer les difficultés de réinsertion des anciens taulards et fustiger la peine de mort. Deux sujets chers à Giovanni, lui-même ancien détenu et condamné à la peine capitale (gracié).


« J’ai vu ce film il y a plus de vingt ans, confie Rachid Bouchareb et il m’avait beaucoup marqué car c’est un film engagé politiquement. J’ai eu envie d’en faire une version moderne tout en retrouvant les thèmes qui me sont chers. Donc je me suis éloigné du film de Giovanni. Je ne voyais pas l’intérêt de refaire un film réussi. »


Eloignement dans le temps mais aussi dans l’espace. Bouchareb a transposé l’histoire à la frontière américano-mexicaine. Dans un bled paumé où un récent libéré est confronté à un flic teigneux (faut dire que l’autre a tué son adjoint). Entre eux se dresse une femme courageuse, agent de probation mandatée par l’Etat. Le pardon ne connait pas de frontière, l’aveuglement non plus.


Pour en arriver là, le réalisateur a effectué un voyage d’études d’environ un an.


« J’avais besoin de faire ma propre enquête en Arizona, au Nouveau Mexique et en Californie, de rencontrer des gens, dont ces Minute Men, citoyens qui surveillent la frontière, mais aussi des shérifs, des gens de la police des frontières… De fil en aiguille, l’histoire s’est constuite en observant ce qui se passé le long de cette frontière américaine avec ses problèmes d’immigration. L’Amérique se referme sur elle-même. L’histoire s’est aussi construite grâce à mes longues conversations avec Forest Whitaker. J’ai beaucoup parlé avec lui de cette Amérique réduite à se construire un mur. »


Whitalker incarne un assassin qui a trouvé la rédemption dans la religion. Il aspire à une vie tranquille, mais son passé le pourchasse et même le harcèle.


Pour l’acteur, ainsi qu’il le souligne lui-même, il s’agit de sa deuxième « reprise » d’un rôle d’Alain Delon. D’abord dans Ghost Dog, inspiré du Samouraï, ensuite dans cette Voie de l’ennemi.


« Rachid m’a donné une copie du film de Giovanni car c’était sa source d’inspiration, raconte-t-il. Mais son univers est très éloigné. Deux hommes dans la ville a été la graine pour créer un univers original. »

« Forest est un acteur de silences, constate Bouchareb. Il aurait pu être un personnage du cinéma muet. J’avais envie que son travail d’acteur se concentre sur la façon de contrôler sa violence. »


Bouchared a, en quelque sorte, fait d’un film provincial français, une œuvre totalement américaine, au moins par son décor. Et une Amérique fort peu hollywoodienne. Il a été accueilli par tous, surpris mais contents qu’un étranger s’intéresse à leurs problèmes locaux. De ce fait, en apparence, les deux films ne se ressemblent pas.


Soutenu par sa nouvelle religion, Garnett (Whitaker) tente de devenir un « homme bien ».


« L’islam a une place historique dans la communauté afro-américaine, poursuit Bouchareb. Je trouvais ce choix intéressant pour aider Garnett à contenir cette violence qui est son pire ennemi. »


« C’est un homme qui a passé de longues années en prison, explique Forest. J’ai essayé de trouver la cause de ses frustrations et de ses colères. J’ai besoin de comprendre le voyage de mes personnages. J’ai voulu montrer à quel point ses rêves sont écrasés dès sa sortie de prison. Je savais que Rachid m’apporterait quelque chose de spécial. J’aime les cinéastes qui ont une vision unique. Ce que je cherche dans ce métier c’est apprendre auprès des gens avec qui je travaille… Quant à la prison, j’en ai beaucoup de souvenirs, non pour y avoir été mais parce que j’a joué beaucoup de rôles de prisonniers. Je sais ce qu’est la peur, le froid, l’isolement. »


Au final, la trame de Bouchareb suit assez fidèlement celle de Giovanni (moins la peine de mort, totalement absente). Même harcèlement policier, mêmes désillusions, même descente aux enfers. Comme toujours pour un remake, il faut oublier le premier pour mieux apprécier le second. Chose facile car Deux hommes dans la ville, en dépit de la présence de Delon et Gabin, n’est pas une œuvre inoubliable. Et l’Amérique offre des décors bien plus saisissants que la France profonde.


Philippe Durant


La Voie de l'ennemi

De Rachid Bouchareb

Avec Forest Whitaker, Harvey Keitel et Brenda Blethyn

1h58. 

Sortie : 7 mai 2014


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