"Ridley Scott", imposteur ou talent sacrifié?

Le cas Scott

 

Pour les cinéphiles, Ridley Scott est source de controverses. Lorsqu’il déboule sur la scène mondiale, il signe avec Duellistes, adapté de Conrad, un superbe premier film qui imposent certaines caractéristiques propres à ses films (sens du casting, direction sobre, photo magnifique). Avec Alien et surtout Blade Runner, il s’impose auprès d’une génération (celle des lecteurs de Starfix et de Mad Movies) comme le successeur possible de Kubrick. .. et la suite a pour le moins laissé perplexe. Passons sur Legend, qu’on peut assimiler à un jumeau inversé de Blade Runner. Black Rain avec Michael Douglas marquera sa volonté de s’amender auprès d’Hollywood en acceptant un véhicule à stars. Si Thelma et Louise fut remarqué en 1991 à Cannes, que dire du pachydermique Christophe Colomb ou des pathétiques Lame de fond ou GI Jane ? S’il a depuis signé des films meilleurs, Ridley Scott, par les espoirs qu’il a suscité, ne cesse de décevoir. L’ouvrage nous aide à poser le débat: qu’en est-il réellement ? Qui est Scott ?

 

Permanence d’une esthétique

 

Formé en Angleterre, Ridley Scott a subi l’influence des peintres ou des publicistes anglais. Plus curieusement, Claude Monnier signale le choc que représentèrent les films d’Antonioni pour lui et l’écho dans ses films. Il est vrai que, à l’instar des protagonistes de La notte ou Blow up, les héros de Scott ne se caractérisent pas par une grande capacité à communiquer avec leurs proches. Souvent taciturnes (Deckard dans Blade Runner en représente l’exemple le plus abouti), les personnages de Scott recèlent une vie intérieure mutine, comme dans Gladiator (Scott nous le dévoile cependant). S’en suit une photo soumise au gris, qu’on retrouve de films en films, privilégiant les teintes crépusculaires. Lorsque, après avoir lu ce livre, on revoit certains films, on est frappés par la permanence de certains choix de photographie, d’éclairage  (sur Gladiator ou American Gangster par exemple). Contrairement à une idée reçue, Ridley Scott ne s’est pas entièrement renié.

 

Formaliste ou auteur ?

 

Si on acquiesce à la virtuosité visuelle de Scott, A contrario on a envie de se demander aussi ce qui a pu soulever un enthousiasme démesuré à son égard. Entendons nous bien : l’homme a des qualités et permettons-nous même un jugement personnel : il est l’un des rares à avoir tiré profit de la 3d (au-delà du gimmick) avec Prometheus (film controversé qui ne mérite cependant pas l’opprobre). Pour autant, Claude Monnier parait peu convaincant lorsqu’il évoque des thèmes récurrents dans l’œuvre du cinéaste, tirés des motifs judéo-chrétiens de notre culture. Si Ridley Scott est imprégné de ces thèmes, on ne peut qu’en déduire qu’il est profondément occidental…

 

Malgré tout, on en revient toujours à Blade Runner et à l’importance rétrospective du film dans notre culture (à comparer avec l’échec du film à sa sortie) : si on ne peut nier aux scénaristes leur importance, Scott en fut indéniablement l’auteur. Il imposa par exemple la référence à Metropolis, montra à toutes l’équipe les œuvres de Moebius et choisit Rutger Hauer (signalons ici qu’il est un remarquable directeur d’acteurs). Le simple fait de remettre l’œuvre sur le métier (combien de versions de films depuis 1982 ?) démontre sa qualité d’auteur, de cinéaste. Et pourtant combien de films médiocres nous a-t-il livrés ?

 

Alors auteur ? Simple faiseur ? Le débat n’est pas tranché mais…Amis lecteurs, selon les derniers bruits, Ridley Scott voudrait tourner un Blade Runner 2 : la solution à notre énigme ? En attendant, lisez la synthèse de Claude Monnier.

 

Sylvain Bonnet

 

Claude Monnier, Ridley Scott, Editions L’harmattan, mars 2014, 250 pages, 25,50 €

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9 commentaires

Salut Sylvain, je me souviens d'une entretien accordé à Mad Movies, pour Legend, où il a déclaré qu'il était assez peu soucieux de liberté artistique. Ridley Scott est juste le roi de ce qu'on appelle les yes-man. Il est vrai que parfois les yes-man produisent des chefs-d'oeuvres. Mais ça fait 30 ans que ça n'est pas arrivé à Ridley Scott, dont je n'attends plus rien.

Je ne suis absolument pas d'accord avec Sylvain.

Pour ma part, je suis un grand fan de Ridley Scott. Et c'est peut être justement ce flou, ce débat que son cinéma engendre qui est intéressant.
On a l'impression que cet article s'arrête à la carrière de Scott avec le 2ème millénaire. Mais il y eu un avant et un après Gladiator (que je considère comme son plus grand chef d'oeuvre, celui où il a su concilier à merveille le cinéma d'auteur avec le blockbuster). Et bien que la carrière du bonhomme soit parsemée d'oeuvres moins majeures, je ne vois pour ma part que très peu de mauvais films, pour combien de très bon? Le seul reproche qu'on peut peut-être lui faire depuis quelques années est d'être devenu plus un 'suiveur', suivant des tendances au lieu d'en lancer comme il le faisait. Mais il le fait avec talent !

Harodès, vous avez complètement le droit de ne pas être d'accord avec moi (et du coup de jeter un coup d’œil au livre de Claude Monnier avec qui, je pense, vous avez de nombreux points d'accord). Votre commentaire montre bien à quel point le "cas" Scott divise. Et sur Gladiator, je dois dire que je suis partagé. Une première vision m'avait mis hors de moi, sur les erreurs historiques qu'elles contenaient (l'empereur Marc Aurèle voulant restaurer la République romaine, rions), typiques d'un Hollywood peu soucieux de vouloir embaucher de vrais consultants. Une deuxième m'a plus séduit visuellement (il y a vraiment beaucoup à  dire sur la permanence visuelle des films de Scott) ainsi que sur le personnage de Crowe (assurément un de ses meilleurs rôles). Pour le reste, lorsqu'on regarde sa filmographie, il y a des fois où on envie de rire: Lame de fond, GI Jane, une bonne année (alors là franchement, dur à défendre mais ce n'est que mon avis), Robin des bois... Pour moi, il y a deux Scott: celui d'avant Blade Runner et celui d'après. et c'est là où je ne suis pas d'accord avec Sylvain Fontaine: le Scott d'avant 1982 est très intéressant. Il choisit des sujets "risqués", pas forcément vendeurs et les retourne d'une façon assez efficace. Alien par exemple, tourné au moment de la vague SF post star wars, en prend le contre pied. Dans ce film, Scott peint un futur déglingué, sale (idem dans Blade Runner) où on parle des primes au petit déjeuner. Quant à Blade Runner, je ne serai jamais objectif car j'ai vu ce film des dizaines de fois. Il est ambitieux, à la manière de 2001 (je ne suis pas le seul à le penser), pose des questions sur la nature humaine, "trahit" Dick tout en respectant une partie de sa thématique. Après 1982, je n'ai jamais retrouvé le Scott que j'aimais, sauf à de rares moments (le début de Prometheus, lorsque David est seul dans l'espace avant que les astronautes se réveillent). Que s'est t-il passé? A-t-il voulu gagner de l'argent et donc a-t-il rangé ses ambitions au placard? Ce ne serait pas le premier. L'avons nous surestimé au départ? Peut-être. N'empêche que je vais aller revoir Blade Runner, pour le coup.

Pour répondre à votre commentaire dans l'ordre.

Tour d'abord, concernant Gladiator, je ne suis sans doute pas objectif non plus (il semblerait que Gladiator soit à moi, ce que Blade Runner soit à vous. Une question de génération peut être). Bref, le fait est que j'ai déjà lu maintes fois l'argument de la véracité historique, qui ne tient pas pour moi. Gladiator est une fiction, pas un documentaire. Alors, certes il se base, s'insère même, dans un contexte réel. Mais des libertés ont été clairement prises avec la réalité, je ne pense pas qu'il y ait erreur sur la marchandise. Maximus étant un personnage de pure fiction.
Je rejoindrais votre commentaire sur l'aspect visuel du film. Je crois que c'est ce qu'il me plait le plus avec le cinéma de Scott, c'est le côté esthète, l'image léchée, chaque plan est un tableau ! (Sir Ridley dessine d'ailleurs ses storyboards lui-même).
Pour les films que vous descendez, je dois dire que je n'ai pas encore vu Lame de fond (c'est un des 3 seuls films de Scott que je n'ai pas encore eu l'occasion de voir avec Traquée et Les Duellistes, oui j'ai honte pour ce dernier). Concernant GI Jane où Une Grande Année, certes il ne s'agit pas de ses meilleurs films. Ils ont leurs défauts. Je ne porte pas GI Jane spécialement dans mon coeur, mais je le trouve du moins correct. Quant à Une Grande Année, le film ayant été critiquée par tout le monde, je m'attendais à la pire bouse, et à ma grande surprise le film m'a plu. Ce n'est pas un grand film, mais il n'en a pas les prétentions. Je crois simplement que Scott a voulu se faire plaisir et filmer une région qu'il aime bien (il y possède une résidence) en y consacrant un film léger. Néanmoins, malgré les clichés et l'aspect carte postale et téléfilm du tout, je trouve qu'on y retrouve la pâte de Maître Scott, j'ai trouvé ce film vraiment plaisant à regarder.
Pareil pour 1492 - Christophe Colomb dont je ne comprend pas le lynchage, je trouve le film très réussi !
Quant aux récents Robin des Bois ou Prometheus, ils souffrent tous les deux à mon avis des mêmes défauts: le scénario. Le reste étant tout a fait correct et louable, surtout pour Prometheus dont je suis un grand défenseur. (Espérons que la suite sera à la hauteur). Et là pour le coup je trouve que dire que Scott n'est plus ambitieux est assez discutable. Ces films ont de l'ambition, ils manquent juste d'un souffle, d'un petit quelque chose.
a vous lire, on croirait que le cinéma de Scott n'était bon que le temps de 3 films, que faites vous de Thelma & Louise, Gladiator, Hannibal (même si il ne vaut pas son prédécesseur), Black Hawk Down (qui, sans atteindre le chef d'oeuvre, a influencé durablement la façon de filmer le combat ou de le représenter notamment dans les jeux vidéos), Kingdom of Heaven ou American Gangster ? Tous de bons voir excellents films à défauts d'être des chefs d'oeuvre pour certains.

Un livre qui semble avoir inspiré Ridley Scott pour le personnage de Maximus :


http://www.metamag.fr/metamag-2056-L’aigle-de-Rome--pour-l’Empire-et-pour-Mithra-Le-roman-de-wallace-Breem-nous-parle-de-nous.html


L'occasion de signaler sa réédition.

Merci pour cette anecdote Antoine, je l'ignorais ;-)

bravo pour ces echanges interessants. perso je ne suis pas cinephile, mais blade runner est de loin ( avec Duel) mon film prefere, et la scene sur le toit me 'parle' et m'emeut toujours autant. Rien que pour cette scene, RS esr pour moi une pointure.  tiens, d'ailleurs, il pleut, je me le regarderai bien une 78eme fois....


Idem : je l'ai beaucoup vu aussi. Parait qu'ils veulent faire une suite...

Mais avant, il va tourner The martian avec Matt Damon