"Au fil d'Ariane" de Robert Guédiguian : cousu de fil bleu

Robert Guédiguian propose une fantaisie. C’est lui qui le dit et qui l’écrit même dans son générique. Il aurait tout aussi bien inscrire « fable » ou « conte d’humour », il préfère « fantaisie », laissons-lui en le droit. En clair cela signifie qu’il peut vagabonder, tout se permettre, aller au bout de ses balades humoristiques.


« L’idée de départ, confie-t-il, était de se laisser aller à s’amuser, à exagérer, à imaginer des choses sans queue ni tête mais avec un fil pas trop décousu. Je vais prochainement tourner un film très sérieux sur le génocide arménien et j’avais envie, juste avant, de faire un film pas du tout sérieux, sans aucune logique dramaturgique, sans psychologie, un film qui me permettrait d’aller plus loin. Avec le désir de nous amuser, tant pour les acteurs que pour les techniciens. Ce fut un enjeu pour tout le monde. De plus, j’avais lu que Fellini avait conçu Juliette des esprits comme un cadeau à son épouse Giuletta Massina, alors moi j’ai eu envie de faire un cadeau à Ariane [Ascaride]. »


Il est vrai qu’Ariane est au cœur du film, presque de tous les plans. De là à imaginer que ce personnage gentiment naïf lui ressemble, il n’y a qu’un pas qu’elle hésite à franchir.


« Non, ce n’est pas moi, affirme la comédienne. C’est vrai que j’ai tendance à pousser les gens, à leur demander pourquoi ils font ci ou ça mais je ne suis pas un ange, comme elle. En plus, je suis malade en bateau et Robert avait prévu plusieurs excursions en mer. En fait, pour moi ce film est comme les autres de Robert : un journal intime, un regard sur le monde. Nous avons, lui, moi et nos amis, une même façon de voir le monde. Les personnages qu’ils m’offrent sont des personnages qui agissent, des rôles que tout comédien aimerait jouer. »


Cette Ariane est une épouse/mère de famille. Délaissée le jour de son anniversaire, elle décide de prendre la tangente. Et se retrouve dans une drôle de communauté ancrée dans un petit restaurant de bord de mer : un patron qui ne jure que par Jean Ferrat, un client qui se prétend Américain et écrit un « grand livre » en pillant Pasolini, Lacan, Shakespeare, Sartre et beaucoup d’autres, un jeune homme amoureux d’une rousse jeune femme au métier singulier, un couple de cuistots asiatiques, un vieil Africain qui, la nuit, hurle à la mort… Une communauté qui se supporte mais s’entraide. Des gens qui ont construit leur monde en marge d’un monde qui les déçoit.


« Ariane tombe de plain-pied dans un lieu qui n’existe pas, résume le réalisateur. Donc dans une utopie. Et une utopie où la fraternité existe. »


Avec le recul, Robert Guédiguian se rend compte que cette œuvre résonne aussi comme une sorte de rappel de l’ensemble de ses films précédents.


« En travaillant au scénario, puis au tournage, beaucoup de choses sont remontées à la surface. Il y a des citations de tous mes films mais aussi d’autres productions qui m’ont marqué. On pourrait faire un quizz des citations tirées de ce que j’ai fait mais aussi de tous ceux, écrivains, hommes politiques et artistes, que je nomme mes « compagnons de route ». On s’est beaucoup amusé. »


Aventures et mésaventures, naïveté et juvénilité, fraicheur et soleil, tout se mélange dans ce grand chambardement qui pourrait faire voir la vie d’un autre œil.


« C’est un appel au désordre et au besoin de se mettre au vert », admet Guédiguian.


Avec toujours, en toile de fond, les chansons de Jean Ferrat. Parce que, plus encore que Léo Ferré ou Georges Brassens, il a marqué Guédiguian, parce que Nuit et brouillard et Potemkine sont, pour lui, des œuvres fondatrices.


Bien entendu, on y retrouve la talentueuse joyeuse bande qui unit Ariane Ascaride, Jacques Boudet, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan et aussi quelques déjà vus dont la belle Anaïs Demoustier. C’est un film « à la Guédiguian » qui se déroule entre Marseille et Martigues, avec l’île du Frioul en symbole de la liberté créatrice.


Philippe Durant 


AU FIL D’ARIANE

De Robert Guédiguian

Avec Ariane Ascaride, Jacques Boudet, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan

1h32 – sortie le 18 juin 2014

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