Magic in the Moonlight

Woudini Allen


Renonçant à la sinistre misanthropie de Blue Jasmine, Woody Allen propose dans Magic in the Moonlight une vision nettement plus riante de l’existence, étant entendu que l’optimisme ne saurait être le plus souvent que le fruit de l’artifice et de l’illusion.


Il ne convient pas d’imputer à la coquetterie les propos de certains réalisateurs lorsqu’ils expliquent qu’ils ne lisent jamais les critiques, y compris les bonnes, publiées dans les journaux à propos de leurs films. Certaines analyses bienveillantes sont si condescendantes qu’elles ne sont pas loin d’être des assassinats en règle.

C’est ce qu’on a pu constater avec Magic in the Moonlight, le nouveau film de Woody Allen. Dans l’ensemble, l’accueil, comme on dit, a été bon, mais il a le plus souvent donné lieu à des variations assez peu variées sur les deux thèmes suivants. 1. Ce film plaira aux amateurs de Woody puisqu’on y retrouve de nombreux éléments déjà rencontrés dans son œuvre. En clair : Woody Allen devient un peu gâteux, mais on l’aime bien quand même. 2. On admirera l’énergie de ce réalisateur, qui, à près de quatre-vingts ans, rendez-vous compte, est encore capable de réaliser un tel film. Traduction : pas mal pour un vieillard, n’est-ce pas ?

Ces remarques apparemment marquées au coin du bon sens n’en cachent pas moins deux contresens, intimement liés l’un à l’autre. Magic in the Moonlight est un film que Woody Allen n’a pu écrire et réaliser que parce qu’il approche des quatre-vingts ans ; il y a longtemps, certes, qu’il parle de la mort, mais celle-ci est chaque jour, fatalement, un peu plus menaçante. Quant aux sujets qu’il aborde, il est vrai qu’ils ne sont en rien nouveaux — la question du surnaturel et de la magie est un leitmotiv dans toute son œuvre, d’Ombres et brouillard à Scoop en passant par son sketch de New York Stories —, mais ils prennent ici un caractère de nécessité qu’ils n’avaient jamais eu jusque-là. Le « magicien » qui, sur scène, fait apparaître et disparaître des colombes, ou, mieux encore, se fait disparaître lui-même au creux d’un sarcophage pour ressurgir quelques instants plus tard et quelques mètres plus loin assis dans un fauteuil, est-il autre chose qu’une métaphore de ce rêve de résurrection qui trotte dans la tête de tout individu à un moment ou à un autre, et en particulier dans les derniers moments ?

Le héros de Magic in the Moonlight est donc, comme Houdini dont visiblement il s’inspire, un illusionniste qui ne croit pas au surnaturel et qui s’emploie à démasquer tous les médiums, tous ces charlatans qui prétendent nous mettre en rapport avec les disparus à coups de tables tournantes ou de bougies en lévitation. Le charlatan, en l’occurrence, est une jeune femme et il faudra à notre illusionniste un certain temps pour révéler son imposture, mais là n’est pas vraiment la question. C’est en effet au moment où l’enquête se termine que commence la véritable histoire. La victoire cartésienne de notre Sherlock Holmes a très vite un goût très amer et n’est pas loin de ressembler à une défaite. Il est, mutatis mutandis, dans la situation de l’Alceste de Molière, tout heureux d’avoir enfin la preuve de l’infidélité de Célimène, mais si désespéré de détenir cette preuve que, dans ce qui s’impose aujourd’hui comme l’une des plus belles scènes du théâtre classique, il se met à implorer la perfide d’inventer n’importe quel mensonge pour qu’il puisse imaginer, croire — au sens fort du terme — qu’elle ne l’a pas trahi. Il en viendrait presque à lui souffler son texte… De la même manière, Houdini ne traquait les charlatans que parce que, nous dit-on, il était habité par le désir et l’espoir d’entrer en contact avec sa mère disparue. De la mauvaise foi considérée comme seul outil de survie.

La frontière entre la mauvaise foi et la foi tout court est de toute façon extrêmement ténue. Si, à l’issue de la démonstration, la preuve est faite que la magie n’existe pas, la démonstration elle-même n’est pas loin de prouver le contraire, puisque, comme dirait Pascal, tu ne me chercherais pas si ne tu ne m’avais déjà trouvé. Il y a magie dès lors qu’on porte en soi, y compris a contrario, y compris pour l’abattre, le désir de trouver du magique quelque part. C’est, pour citer une autre référence, un peu le cheminement d’un Lamartine. Autour de lui, le vide. Et donc l’impossibilité d’identifier quoi que ce soit qui pourrait ressembler à du divin. Mais c’est précisément dans l’infinité de ce vide, dans la vacuité de cet infini et dans le vertige qui s’ensuit que le poète trouve l’indice certain de la présence de Dieu.

Saluons ici le discernement des distributeurs français, qui se sont gardés de traduire le titre original, puisqu’il est intraduisible. Magic in the Moonlight, c’est la magie au clair de lune, sous le clair de lune, mais c’est aussi la magie que l’on ne manquera pas de trouver dans le clair de lune lui-même. Elle est là, sous nos yeux, si nous voulons bien la voir.

Faut-il ajouter que cette magie du clair de lune est aussi simplement celle du cinéma ? Rien ne s’opposait a priori à ce que cette histoire se déroule de nos jours. Woody Allen a préféré la situer dans un temps et dans un décor fitzgéraldiens, obtenus avec des moyens somme toute assez limités, mais extrêmement efficaces. Reconstitué à l’économie, ce passé devient paradoxalement très présent, et le cinéma remplit ici son rôle premier, identique à celui de son ancêtre le théâtre, et qui consiste à évoquer les morts. Les Américains n’ont-ils pas appelé le cinématographe biograph à ses débuts ?

Même s’il ne le reconnaît pas ouvertement, Woody Sr. renonce à la désinvolture acerbe et souveraine qu’il affichait il y a encore une vingtaine d’années à l’égard d’une éventuelle gloire posthume, expliquant qu’il se moquait royalement de cette perspective, puisque, de toute façon, par définition, il ne serait plus là pour en profiter. D’une certaine manière, Magic in the Moonlight est le renversement mystique d’une scène fameuse de What’s new, Pussycat ?, film réalisé par Clive Donner, mais dans lequel Woody Allen faisait ses débuts sur le grand écran, en tant que scénariste et acteur. Voyant un personnage disparaître à ses côtés, l’un des héros de cette farce criait son ire d’être ainsi « joué par un vulgaire trucage de cinéma ». Magic in the Moonlight nous rappelle et rappelle à son auteur que les trucages sont aussi un moyen de faire ré-apparaître les êtres et les choses. L’amour, même fondé sur un malentendu, portera toujours en lui le charme de l’amour, et le bonheur, même lorsqu’il est construit sur un mensonge, possédera toujours la pureté du bonheur.


FAL


Magic in the Moonlight

Un film écrit et réalisé par Woody Allen avec Colin Firth et Emma Stone  


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