"Truffaut et Godard", duel au soleil

De l’auteur et de la « Nouvelle Vague »

 

Agrégé de philosophie, Arnaud Guigue est aussi cinéphile et il réussit à marier ses deux passions en publiant des ouvrages critiques dont un, Pour une cinéphilie grand angle, se fit un peu remarquer en remettant en cause certains dogmes de la Nouvelle Vague dont François Truffaut et Jean-Luc Godard sont, à jamais et peut-être malgré eux, les porte-paroles. Rappelons que la paternité du terme « Nouvelle vague » revient à… Françoise Giroud. Nos deux critiques/cinéastes le reprirent un peu malgré eux, pour marquer leur rupture avec le cinéma de la « qualité française » dénoncé par Truffaut dans le fameux article « une certaine tendance du cinéma français… mais leur œuvre fut-elle si novatrice ? L’opposition Godard/Truffaut est-elle si pertinente ? Lequel est-il le plus novateur, voire génial ? Telles sont les questions que se pose Arnaud Guigue.

 


Le génie n’est pas là où on croit…

 

L’auteur, disons-le chers lecteurs, est de parti pris : il préfère François Truffaut (même s’il reconnait les fulgurances godardiennes). Je l’avoue sans détours : sans le connaître, je pense comme lui. Godard est l’homme des slogans, des séquences qui marquent (à l’intérieur de films plutôt ennuyeux), des fulgurances géniales (Pierrot le fou reste le film français emblématique des années 60). Godard, doté d’un regard de cinéaste (je renvoie au livre de Jean-Claude Biette, Qu’est-ce qu’un cinéaste, sur ce sujet) a toujours été incapable de raconter une histoire, bien au contraire de Truffaut. Truffaut, justement, capte encore et toujours l’attention du spectateur par l’intensité de son regard (il disait vouloir faire des films « donnant l’impression qu’ils ont été tournés avec 40 de fièvre ») et des émotions qu’il transcrit à l’écran.

 

La morale de l’histoire

 

Critiques, Godard et Truffaut furent les procureurs impitoyables d’un certain cinéma de la qualité française, obsédée par le scénario et l’adaptation littéraire. Les plus féroces critiques de Truffaut se retrouvèrent aux côtés des thuriféraires de Godard pour dénoncer l’auteur du dernier métro comme un traître, un tenant de cette fameuse qualité… C’est oublier que Truffaut, enfant de Renoir, Ophuls et Hitchcock, dirigeait les acteurs avec urgence et naturel et réussissait à imposer des récits en images, avec un regard de cinéaste. Godard, Dieu vivant et momifié d’une poignée de cinéphiles, malgré son talent, fut incapable de concurrencer son ancien ami sur ce terrain. Il ne fit que des essais, passionnants mais très théoriques (et parfois conventionnels).

 

La passion peut être mauvaise conseillère…

 

Reste dans la construction et certaines assertions du livre de Guigue (qui m’aura caressé dans le sens du poil, chers lecteurs) me posent certains problèmes. Son principe est d’opposer systématiquement les films de Truffaut et Godard. Or opposer Pierrot le fou et La sirène du Mississipi pose problème… Car Godard, je le rappelle, a certainement réalisé ici son chef d’œuvre (très prisé par exemple par Jean-Claude Brisseau) et il faut de la mauvaise foi pour y opposer un Truffaut… Plutôt bon (n’en déplaise à certains) pas aussi important historiquement. Mais Godard émeut-il ? Godard a-t-il réalisé un film équivalent à La femme d’à côté ? Ou à la Nuit américaine (sans parler du dernier métro) ? Non.

 

Allons maintenant plus loin et tournons-nous vers le présent : Truffaut manque au cinéma français. La plupart des cinéastes actuels se revendiquent de lui (sauf Kassovitz) mais oublient ses leçons. Si certains racontent des histoires, ils se contentent de mettre en images un scénario (qui, rappelons-le,  permet d’obtenir l’avance sur recettes). Quant aux autres, ils imitent Godard… et font fuir les spectateurs. C’est pourquoi beaucoup considèrent aujourd’hui que la Nouvelle Vague constitue un héritage bien encombrant.

 

Un livre à lire, dans un débat qui intéresse tout le cinéma français ainsi que ses spectateurs…

 

P.S : la sublime Fanny s’appelle « Ardant » et non « Ardent ». Merci de bien orthographier le nom de l’immortelle femme d’à côté.

 

Sylvain Bonnet

 

Arnaud Guigue, Truffaut & Godard, CNRS éditions, septembre 2014, 350 pages, 23 €

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5 commentaires

Houlà!!   Le" film français emblématique des années 60", celui qui est resté dans la conscience collective, et qui a marqué des milliers, voire des millions de gens, mon cher Sylvain, c'est "les tontons flingueurs", point barre.

Alors, sur le reste....on perçoit bien ici la difficulté d'écrire des livres qui se veulent analytiques quand on est passionné, donc myope.  La myopie, au cinéma, comme dans la vie, oblige à se coller le nez sur l'écran pour y comprendre quelque chose, ce qui rend votre vision du monde parcellaire  et toujours pixellisée.  


Donc, ce genre de bouquin de fan,  écrit par un passionné pour des passionnés, me fait penser à ces livres écrits par et pour des collectionneurs de boite de camembert ou des adeptes de Claude François (ce sont souvent les mêmes ^^) : ça n'intéresse que 10 personnes....Une petite approche critique sur le concept même du bouquin aurait permis de prendre une hauteur bien venue  par rapport au sujet, très anecdotique et germanopratin . Grosso-modo, «  Truffaut, c'est mieux que Godard »= s'il y a un bien un truc dont tout le monde se fout….


D’où, en parallèle, la difficulté de faire une critique quand vous êtes aussi passionné que l’objet de votre critique : la myopie est, dans ce cas, maladie contagieuse. Cher Sylvain, vous êtes addict à la nouvelle vague, loin de moi l’idée de vous embêter sur vos passions, bien au contraire, les gens passionnés sont souvent passionnants.

Par contre, et n'y voyez pas une attaque personnelle, (chacun son truc, je le répète), le plaisir quasi physique que vous éprouvez à vous faire caresser les poils dans le bon sens par ce vague philosophe surfeur me laisse songeur...quel intérêt ?   Intellectuellement parlant, jouir sur un bouquin où le type est  totalement d'accord avec vous et vous retire quasiment les mots de la bouche pourrait facilement être qualifié d'onanisme, si la critique littéraire était enseignée à la faculté (de médecine).

Bonjour Proutch,


Tout jugement laudateur comporte une part de subjectivité. Concernant "les tontons flingueurs", nonobstant mon manque d'enthousiasme pour ce film (même si j'en cite volontiers certains passages, surtout dans mes fonctions professionnelles), il est clair que ce film a marqué et continue de plaire à beaucoup de gens. Mais Pierrot le fou aussi, même si je vois bien que ce n'est pas votre tasse de thé (ou de café). Reste qu'à l'étranger (et pas seulement dans les milieux branchouilles), Godard reste plus connu que Lautner (c'est d'ailleurs injuste, Lautner, avec l'aide d'Audiard, était assez original par le ton de ses films) et Pierrot le fou est régulièrement cité. Bon, je sais qu'avoir recours à ce type de jugement a des limites... 
J'avoue avoir pris prétexte de ce livre estimable (dont Philippe Durant a fort brillamment montré les limites dans une précédente critique au salon littéraire) pour placer une éloge de Truffaut. On a tous nos limites effectivement et moi je suis en pleine nécrophilie cinéphile. Truffaut (ce jugement n'engage que moi) manque au cinéma français et ses héritiers (du moins ceux qui se réclament de lui et de la nouvelle vague) ne lui font pas honneur... ce jugement, je le répète, n'engage que moi...


Allez, je me lance et participe au débat, sur trois points :
1/ le point fait par Proutch est assez amusant : "La myopie, au cinéma, comme dans la vie, oblige à se coller le nez sur l'écran pour y comprendre quelque chose, ce qui rend votre vision du monde parcellaire  et toujours pixellisée." J'ai envie d'y répondre ceci : le cinéma EST une myopie, puisque physiquement, l’œil de la caméra ne peut en aucun cas être objectif ;
2/ Godard est mort (artistiquement) après Pierrot le Fou, mais personne n'a jamais osé le lui dire, surtout pas dans les salons parisiens où l'on cause, dont cela aurait certainement remis en cause l'existence, du moins en partie.
3/ le cinéma français est sans doute mort un 21 octobre 1984, avec Truffaut. Mais là encore, personne ne nous en a informés. L'avantage, c'est qu'à vivre dans l'illusion d'une vie, on peut réaliser certains rêves, faire de beaux films, et c'est très bien. Mais de cinéma français, ne me parlez point, merci.
Ceci étant un avis très personnel, cela va certes sans dire, mais toujours mieux en le disant :-).

"l’œil de la caméra ne peut en aucun cas être objectif" : excellent!!!-et très vrai.

Le livre , assez peu convaincant mais intéressant d'Arnaud Guigue , mieux inspiré dans Le Dictionnaire François Truffaut , a permis à certains commentateurs de laisser tomber des jugements hâtifs : ainsi la mort artistique de Godard vers 1965 ou la mort du cinéma français après 1984 semblent difficiles à prouver . Ne peut-on vraiment aimer aucun film français depuis plus de 30 ans ... ? Pour ne parler que de " vieux " cinéastes de la génération de God et Truff ... il me semble que Rozier , Rohmer , Rivette ou Pialat et Chabrol ne sont pas tombés dans la paresse et le désespoir dès 1985 .