"Queen and Country", rencontre avec John Boorman

Vingt-sept ans après Hope and Glory, John Boorman revient sur sa jeunesse. Une sorte de tome 2 qui évoque cette fois l’après-guerre avec deux années de service militaire dans la royale armée anglaise. Une chronique pleine de vivacité, de drôlerie, de trouvailles et, bien entendu, d’émotion. Le fameux humour britannique fait encore des ravages et prouve que l’on peut dire beaucoup sans avoir besoin d’appuyer le trait. Mise en scène soignée et acteurs excellents. De la belle ouvrage made in England.


Pourquoi ce film aujourd’hui ?


J’ai toujours eu envie de le faire mais plusieurs raisons m’en ont empêché. D’abord j’ai été pris par d’autres projets. Ensuite, les personnages du film reposent sur des gens réels. Les gradés, par exemple, avaient une dizaine d’années de plus que moi. Aujourd’hui j’ai 81 ans, il y a une forte probabilité pour qu’ils soient morts ou, en tout cas, plus en état de faire un procès ! Je suis au moins tranquille sur ce point.


Comment avez-vous construit le scénario ?


A 16 ans, j’ai commencé à écrire un journal. J’y racontais tout ce qui m’arrivait. J’en ai des piles entières. Je m’en suis servi pour construire l’histoire. J’ai même retrouvé le billet de prison que j’ai reproduit dans mon film. Et puis quand vous commencez à écrire sur vous, de nouveaux souvenirs ne cessent de ressurgir. Ceci dit ce n’est pas tout à fait un film sur ma vie mais un film connecté à ma vie. Les personnages, les faits sont authentiques mais intégrés à une histoire différente. Il y a d’ailleurs dans la relation entre la mémoire et l’imagination quelque chose de mystérieux. Après Hope and Glory mes souvenirs ont changé. C’est-à-dire que je revois mon passé non pas tel qu’il était mais tel que le film l’a montré. Il est en train de se produire la même chose avec Queen and Country. J’ai trahi ma propre vie !


Pourquoi l’humour ?


L’aspect comédie est très important pour moi. La notion d’armée nous paraissait une absurdité. Je l’ai vraiment ressentie comme ça. Il me parait important de montrer à quel point elle était à la fois bizarre et ridicule. Ce n’est que quand on voit la réalité de la guerre que les choses changent. Un vrai choc. Ce n’est plus drôle, c’est tragique.


Comment avez-vous choisi les comédiens ?


Je n’ai jamais recherché une ressemblance physique entre les acteurs et les personnes que j’ai connues mais une ressemblance de comportement. Ma seule exigence était que l’acteur qui me représente jeune devait ressembler à l’enfant de Hope and Glory avec quelques années de plus.


Quel est votre regard sur votre propre passé ?


Quand je revois cette époque, il s’en dégage beaucoup d’émotion. C’était pour moi la découverte de l’amour, la découverte de la brutalité de l’armée, la découverte de la camaraderie. Comme dans le film, tous ces sentiments se sont entremêlés. La scène de la cigarette, par exemple, est très importante pour moi car elle symbolise la camaraderie de cette époque. Je ne fumais pas mais le manque de cigarette qui tiraillait mes amis a fini par me tirailler à mon tour !


Queen and Country montre la retransmission du couronnement de la reine Elizabeth. Quel effet cela vous fait de constater qu’elle est toujours le trône plus de 60 ans après ?


C’est très étonnant et aussi très décevant. En 1952, au moment du couronnement, l’Empire britannique partait en lambeaux. Il avait occupé les 2/5 des terres de la planète et tous les territoires accédaient à l’indépendance les uns après les autres. Les soldats anglais défendaient encore le concept de l’empire alors qu’il était déjà désuet. Nous, les jeunes, espérions que cela allait s’accompagner de changements en profondeur : la disparition de l’aristocratie, l’équilibre des classes sociales, peut-être aussi la disparition de la royauté. Mais tout cela est toujours présent et c’est désespérant.


Que vous a apporté l’expérience de l’âge ?


Quand j’étais jeune je ne savais rien. Aujourd’hui, je n’ai que des doutes. Je me connais mieux qu’avant mais je suis incertain sur tout. La seule chose que je sais est que notre planète est dans un désastre total.


Le cinéma était-il déjà présent dans votre vie à cette époque ?


Nous parlions beaucoup de cinéma. Tous les films cités sont des œuvres qui nous ont marqués. Rashomon eu une grande influence sur moi. Les films que l’on voit à 18 ou 20 ans vous affectent beaucoup plus que ceux que vous voyez plus âgés. J’ai rencontré des personnes qui ont vu mes films jeunes et qui m’en ont parlé bien des années après. Le cinéma n’a qu’une centaine d’années et personne avant n’avait connu ce genre d’expérience. Quand j’ai tourné La Foret d’Emeraude, je me suis retrouvé au milieu d’une tribu qui ne connaissait pas le cinéma. J’ai eu beaucoup de mal à leur expliquer de quoi il s’agissait. Quand le chaman m’a demandé ce que je faisais comme métier, je lui ai expliqué que je faisais des gros plans, des bons dans le passé ou dans l’avenir. Il m’a répondu qu’il faisait exactement la même chose quand il entrait en état de transe.


Comment êtes-vous devenu cinéaste ?


J’étais très attiré par le cinéma mais je n’avais l’idée de devenir réalisateur. A la fin de mon service militaire, j’ai trouvé un job d’assistant monteur et j’en étais très heureux. Je montais des courts métrages documentaires. Puis des longs métrages. Ensuite on m’a demandé d’en réaliser. Ils sont passés sur la BBC et ont eu un certain succès. Mais j’étais un peu frustré et j’ai commencé à les « dramatiser ». Ensuite, je suis passé à la fiction…. Tout cela s’est passé graduellement, il n’y a eu aucun plan prémédité.


Parmi vos réalisations, quelle est votre favorite ?


Délivrance est mon film le plus complet. Quand je le revois, je n’ai envie de rien changer…

J’ai beaucoup de passion pour Hope and Glory puisque c’est ma vie et ma famille. Le Point de non-retour reste un mystère pour moi parce que je ne savais pas ce que je faisais, j’étais en état de grâce… Je me souviens de Billy Wilder qui m’a dit un jour : « Quand on fait un enfant, on a toujours l’espoir d’avoir engendré un nouvel Einstein. Mais parfois on a engendré un parfait crétin congénital. Avec les films c’est la même chose. » Il m’a dit cela en évoquant Buddy, Buddy, son dernier film. C’est ce que je ressens avec Zardoz qui a été un échec commercial et que j’aime comme on aime un enfant autiste.


Pourquoi la dernière image de Queen and Country montre une caméra arrêtée ?


La caméra s’arrête parce que c’est mon dernier film. C’est un signal que j’envoie au spectateur. Je n’ai pas envie de continuer du cinéma en étant centenaire comme Manuel de Oliveira… Mais, depuis que j’ai terminé Queen and Country, je suis tenté d’en faire encore un autre !


Entre la liberté prônée par Délivrance et le carcan de Queen and Country, que préférez-vous ?


Je préfère un endroit sans règle mais je dois reconnaître que les lois et les règles sont les gardiens d’une certaine civilisation. On voudrait tous être libres mais il est nécessaire d’évoluer dans un cadre.


QUEEN AND COUNTRY

De John Boorrman

Avec Callum Turner, Caleb Landy Jones, Pat Shortt, Davis Thewlis

1h55 – sortie le 7 janvier 2015


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