"Valentin Valentin", : rencontre avec Pascal Thomas

Après avoir été faire un tour du côté d’Agatha Christie, l’espace de trois films, Pascal Thomas en revient à ses premières amours en dessinant une sorte de portrait de groupe. Les habitants d’un même quartier réunis autour d’un même personnage, Valentin, qui les étonne voire les fascine. Mais ce jeune homme a d’autres soucis et d’autres envies. Sur fond d’intr

igue policière, Pascal Thomas crée une galerie de personnages qui ne sont pas tous aussi lisses qu’ils veulent le laisser paraitre. Une pointe d’humour, un peu d’acidité, beaucoup de drames et une sensualité féminine qui traverse l’écran.


Pourquoi être passé d’Agatha Christie à Ruth Rendell ?


Vous savez, pour moi, l’auteur n’est qu’un prétexte, ou un point de départ. Quel que soit le sujet que je traite, je parle toujours de moi et des mes envies. J’aurais pu continuer avec Agatha Christie si une certaine actrice ne m’avait pas forcé à me diriger sur une autre voie.

Que s’est-il passé exactement ?

Quand nous avons commencé le troisième film tiré d’Agatha Christie, nous savions que nous allions faire moins d’entrées que les précédents. Or Catherine Frot a demandé 1,3 millions d’euros. Je l’ai appris un mois avant le tournage. Nous avons essayé de faire baisser son cachet mais ça a été très compliqué. Au final, nous avons fait exactement le nombre d’entrées envisagé dès le départ, mais, entre-temps, le budget avait changé et le film ne pouvait plus être rentable.


Qu’en est-il du grand film à costumes que vous deviez faire ?


Il n’en est rien. J’ai un féroce appétit de cinéma mais il y a plein de sujets qui ne se concrétisent pas. Pourquoi ? Ca reste un peu mystérieux. Par exemple, j’ai eu longtemps envie de faire un film sur la jeunesse de Paul Léautaud. Pour la première fois on aurait vraiment parlé de littérature dans le cinéma français. C’était pour moi l’occasion de traiter des milieux littéraires avec un Léautaud jeune et plein de fougue et aussi Apollinaire, Paul Valéry, Sacha Guitry, les anarchistes… Mais ça n’a jamais pu se faire. Aujourd’hui, je ne peux même plus le présenter car quand on voit toute la laideur qui s’étale sur les écrans on sait qu’il y a un total manque de goût. Alors un film avec de beaux décors et de beaux costumes, n’en parlons pas !


Quel était votre souhait de base avec celui-ci ?


Faire un film de groupe. Nous nous sommes beaucoup éloignés du roman initial, sinon il aurait fallu faire un film de six heures. J’avais envie de montrer des personnages sympathiques en apparence. Comme ça peut être le cas dans certains films de John Ford ou dans Le Cercle des poètes disparus. Et puis ça me donnait l’occasion de travailler avec des acteurs de tous âges. Je trouve de la jeunesse dans les acteurs plus anciens et de la maturité chez les jeunes acteurs ! Enfin, je souhaitais traiter à la fois de différentes relations amoureuses et de différents types de femmes. Tous ces portraits de femmes m’intéressaient. J’aime la femme libre. Dans mon film, il n’y a aucune femme soumise.


Etes-vous libre vous aussi ?


Je me considère comme un cinéaste libre. Jusqu’à maintenant, j’ai toujours réussi à faire ce que je voulais, même avec la contrainte de l’argent.


Pourquoi Vincent Rottiers dans le rôle-titre ?


En réalité, il était prévu dans l’autre jeune rôle masculin, joué par Félix Moati. Mais, en lisant le scénario, il a préféré celui-ci. Tout le monde était hostile à cette idée. Ca a trotté dans ma tête et je me suis dit qu’il avait raison. J’ai connu des jeunes gens de bonne apparence, qui étaient, au fond, des aventuriers ou des voyous. Je voulais quelqu’un de retenu mais capable d’agir comme un voyou, il était parfait pour cela.


Avez-vous modifié vos méthodes de travail ?


Non, je continue à ne rien préparer. Je ne sais jamais comment ça va être. Je ne suis même jamais sûr de savoir faire un film ! Je ne donne jamais d’indications psychologiques aux comédiens. Les scènes naissent sur le tournage. Certaines idées viennent subitement. Le cinéma c’est l’art de montrer l’âme à travers les mouvements du corps ou à travers les yeux. Je préfère un regard qu’à des mouvements de caméras.


Comment vous voyez-vous au sein du cinéma français ?


Jean Dutourd, après m’avoir traité « d’immortel auteur des Zozos », m’a dit un jour : « Vous faites partie du paysage » Voilà comment je me considère : faisant partie du paysage.


Avez-vous trouvé facilement le financement ?


Très peu de films français se financent facilement. Peut-être ceux avec Guillaume Canet ou Jean Dujardin, et encore je n’en suis pas certain. Roman Polanski a dû arrêter son projet de film sur l’affaire Dreyfus parce qu’il n’a pas trouvé le financement. Il faut rester dans certaines limites financières, entre trois et quatre millions d’euros. J’ai trouvé un nouveau producteur, Saïd Ben Saïd, et j’ai tenu exactement le budget annoncé, sans aucun dépassement. Quitte à modifier certaines scènes avant tournage car j’ai des goûts dispendieux. Quand j’ai fait le premier Agatha Christie, qui nécessitait certains costumes et décors, ce n’était pas Hollywood mais pas loin !


Les lieux, importants dans votre intrigue, ont-ils été difficiles à trouver ?


C’est vrai qu’il me fallait un immeuble de cinq ou sept étages avec en face des petites maisons. Eh bien nous avons trouvé cela en une quinzaine de jours, à Saint-Mandé. Les gens ont accepté tout de suite de nous prêter leurs logements, ça les amusait de faire, indirectement, du cinéma.


Pourquoi ce titre avec ce prénom doublé ?


Trouver un bon titre est toujours difficile. Les Zozos s’appelait initialement Frédéric et François sont sur plusieurs coups à la fois ! Cela ne paraissait pas très mémorisable. Un spectateur pouvait dire « J’ai été voir Les Zozos », pas « J’ai été voir Frédéric et François… » C’est moi qui ait proposé Les Zozos. Ici je trouvais que doubler le prénom le rendait plus musical. Et puis je voulais me démarquer de tous les titres actuels des films français qui sont consternants.


N’aimez-vous pas le cinéma français actuel ?


C’est un cinéma d’intermittents avec des ambitions très limitées. Et puis il faut savoir que les agents d’acteurs ont massacré notre cinéma. Avant, il y avait plusieurs catégories de comédiens : les premiers rôles et les grands seconds rôles joués par ceux qu’on a appelés les « excentriques ». Les agents se sont concentrés sur les vedettes pour faire monter les prix et, donc, faire monter leurs propres revenus. En chemin, on a perdu les seconds rôles. Il est presque impossible actuellement de trouver un acteur entre 40 et 50 ans avec une certaine élégance. Je ne trouve pas beaucoup d’acteurs qui marchent bien, dans le sens où ils ont une belle démarche.


Des comédiens comme Jean Carmet vous manquent ?


Et comment ! Des gens comme lui ou comme Daniel Ceccaldi. Gérard Depardieu a intitulé son livre Ca s’est passé comme ça. Je crois que c’est une phrase qu’il a piquée à Jean Carmet. Car ça résumait parfaitement sa philosophie. C’était un type tout à fait étonnant. Un jour, en plein tournage, nous croisons un paysan qui lâche un pet énorme et commente « Je ne sais pas ce que j’ai là-dedans ». Carmet m’a supplié de lui écrire une scène avec cette réplique. J’ai fini par céder. Quand je l’ai tourné, Ceccaldi a ajouté, spontanément : « Tu me l’as retiré de la bouche ! »… « Ça s’est passé comme ça » résume vraiment tout ce que nous faisions. C’est une phrase extraordinaire. C’est un résumé de nos vies et de nos films.


En parlant de livre, que pensez-vous de celui de Christopher Donner sur Jean-Pierre Rassam (« Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive », de Christophe Donner, éd. Grasset)?


C’est faux de bout en bout. Ce n’est pas du tout le caractère de Rassam, que j’ai bien connu. Il a été lâché par tout le monde, sauf par quelques fidèles dont j’ai été. Donner a dû interviewer quelques personnes mais n’a pas réussi à recréer Rassam. Il avait un comportement beaucoup plus riche que celui montré dans le livre. C’était un des types les plus intelligents que j’ai connu. Un type très agréable à fréquenter aussi. Tout le cinéma français défilait dans ses bureaux ou au Plazza où il a fini par habiter. Tout cela ne ressort pas du livre. C’est zéro.


Philippe Durant


VALENTIN VALENTIN

De Pascal Thomas

Avec Vincent Rottiers, Marie Gillain, Marilou Berry

1h46 - Sortie le 7 janvier 2015


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