Poelvoorde l'inclassable - entretiens 1992-2015

BENOIT POELVOORDE : C’EST DU BRUTUS


L’avantage d’avoir de la bouteille (plus de 25 ans de métier, une paille !) est d’avoir vu arriver sur le marché nombre d’acteurs et d’actrices. Certains se sont fracassés contre des murs, d’autres ont vivoté et une faible part a fait une belle carrière. Benoit Poelvoorde fait partie de cette dernière.


Je me souviens parfaitement de notre première rencontre à l’occasion de la sortie de C’est arrivé près de chez vous. Un repas totalement délirant qui sentait bon la joie de vivre et le plaisir de savourer un succès annoncé (et mérité !).


Par la suite, j’ai eu souvent l’occasion de revoir cet étrange Benoît. J’ai vite compris son mode de fonctionnement. Le meilleur moyen pour le mettre à l’aise est de commencer par des questions n’ayant rien à voir avec le film qu’il est censé défendre. Ainsi pour Narco, je lui ai demandé quelle était selon lui la meilleure bière belge ; pour Les Randonneurs à Saint-Tropez de me raconter son rapport avec les hôtels, pour La Guerre des Miss de me parler de son chien qui ne le quittait alors pas, etc. Dès lors Benoît Poelvoorde parle avec une rafraîchissante franchise. La langue de bois n’a jamais son fort. Modeste mais lucide, il narre ce monde du cinéma qu’il semble découvrir film après film, avec ses joies et ses déceptions. «  Il y a 50 % d’égocentrisme et de mégalomanie nécessaires pour devenir acteur, me dit-il. Il ne faut jamais dépasser ce cap des 50 %. Ce sont eux qui vous permettent de jouer devant une caméra, de vous foutre à poil et de tout faire. Mais il ne faut pas les dépasser parce qu’alors vous devenez un connard. » À ma connaissance, il ne les a jamais dépassés.


Cet acteur inclassable parce que les classements ne servent à rien, bénéficie, enfin, d’un livre le racontant. Très précisément d’un recueil d’interviews dues au journaliste Hugues Dayez qui le connait bien et depuis longtemps. Toutes ces interviews (à l’exception d’une en forme de bilan) ont été réalisées lors de promotion de films et, de fait, concernent strictement le cinéma.


«Je n’ai pas la prétention d’écrire sa biographie, explique Dayez dans sa préface. Lors de nos entretiens, je me suis toujours gardé de lui poser la moindre question sur sa vie privée, sans doute parce que ce genre de journalisme n’a jamais été le mien… »


Donc rien sur ses débordements, ses frasques, ses pétages de plomb ni même sur diverses rencontres féminines qui se retrouvèrent dans les pages d’une certaine presse… Ici, il n’est question que de ce métier, de ce qu’il en pense, de ce qu’il ressent. Mais aussi des réalisateurs et de ses partenaires (José Garcia et Gérard Depardieu, dans deux genres différents, figurant en tête de son classement des préférés).


Ces interviews restent conformes à ce qu’elles furent au moment de leur parution donc « dans leur jus ». Ce qui permet de suivre « l’évolution » de Benoit Poelvoorde c’est-à-dire ses tâtonnements et ses découvertes. Ses regrets aussi.


Fatalement, le suivre de film en film, de mots en mots permet de voir se dessiner le portrait d’un acteur qui privilégie l’amitié au carriérisme, défend « sa » Belgique face à un parisianisme envahissant. Bref, Benoit Poelvoorde tel qu’en lui-même.


Attention, tous ses films ne sont pas passés au crible. Loin s’en faut. Certains (beaucoup) ne sont évoqués par Hugues Dayez que dans les courtes présentations qu’il fait. Benoit n’en ayant pas assuré la promotion ou Dayez n’en ayant pas fait d’interviews. Mais les « principaux » sont là. De C’est arrivé près de chez vous au Tout nouveau testament, en passant, bien entendu, par Le Boulet et Astérix et Obélix aux Jeux Olympiques !


Ce parcours dans le temps et dans l’humour à suivre un acteur parfois encensé parfois délaissé est intéressant et offre une belle réflexion sur cet art qu’on dit septième. Passer un moment en compagnie de Benoit Poelvoorde n’est jamais une perte de temps.


Philippe Durant


Poelvoorde l'inclassable, Entretiens (1992-2015) avec Hugues Dayez, Renaissance du Livre, décembre 2015, 213 pages, 22 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.