Pour saluer la mémoire du réalisateur Ettore Scola

Jours sans fin


Pour saluer la mémoire du réalisateur Ettore Scola, quelques mots sur l’un de ses films devenu, comme on dit, un « classique » — Une Journée particulière.


Ce n’est pas sans pertinence qu’un humoriste a déclaré que le jour de la mort d’un individu n’était jamais qu’un jour parmi tant d’autres dans son existence, mais la journée d’hier, mardi 19 janvier 2016, ne laisse pas d’être un peu particulière, puisque ce fut la dernière du scénariste et réalisateur Ettore Scola. Drame de la jalousie, Nous nous sommes tant aimés, la Terrasse, Macaroni, la Nuit de Varennes… Vous avez forcément vu quelques-uns de ses films.


Je voudrais profiter de l’hospitalité que m’offre régulièrement le Salon littéraire pour lui rendre hommage, et pour rendre en même temps hommage à mon père, Léon-Raymond Lévy, mort il y a une douzaine d’années. Cette association mérite un mot d’explication.


Mon père tenait Une Journée particulière pour l’un des plus grands films qu’il eût jamais vus et il n’avait pas manqué, comme pour toutes les choses qui lui tenaient à cœur, de prendre sa plume pour transcrire son enthousiasme sur du papier. Je faisais à l’époque du journalisme de cinéma à hautes doses. Mon père aurait aimé que mes activités m’amènent à rencontrer Scola pour que je lui communique les quatre pages que lui avait inspirées sa Journée particulière, mais cette occasion ne se présenta jamais.


Quelques mois après la mort de mon père, je retrouvai ces pages parmi ses papiers. Je résolus alors, sans trop y croire, de jeter une bouteille à la mer, en l’occurrence une enveloppe portant cette très laconique adresse : Gentile Signore Ettore SCOLA, CINECITTÀ, Italie.


On se moque traditionnellement des retards et des fantaisies de la poste italienne, et, de fait, j’avais largement eu le temps d’oublier mon envoi lorsque me parvint une lettre de Rome. De très nombreuses semaines s’étaient écoulées depuis que j’avais lancé ma bouteille. Mais elle avait atteint — Dieu sait comment — sa destination, puisqu’au verso de l’enveloppe on pouvait lire, écrits de sa propre main, le nom et l’adresse personnelle d’Ettore Scola. La lettre elle-même était tapée à la machine, mais l’aspect fluctuant de certains caractères indiquait que la machine en question n’était pas un ordinateur. Scola avait dû rester fidèle à la vieille Remington ou à la vieille Olivetti de sa jeunesse. Le tout ne faisait que quelques lignes, incluant bien sûr des remerciements, mais le réalisateur disait avoir été particulièrement sensible, dans la prose de mon père, à la comparaison établie par celui-ci entre le mainate capricieux qui ponctue le film et le fatum antique.


C’est donc ce texte de mon père qu’on pourra lire ci-dessous. Certains ne manqueront pas de trouver qu’il raconte un peu trop le film. Nous leur répondrons que ces remarques furent écrites à une époque où le dvd n’existait pas (et la vidéocassette non plus, d’ailleurs), que mon père n’avait pas dû voir le film plus de deux fois, et que la précision avec laquelle est évoquée chaque séquence est déjà en elle-même la preuve qu’Une Journée particulière est une œuvre mémorable.


FAL



***


Une Journée particulière


Le titre de ce film est à lui seul une profession de foi. Les trois mots qui le composent évoquent sans ambiguïté la pureté de la tragédie classique et d’abord la rigueur de l’unité de temps. La promesse sera tenue, et même bien au-delà. Commencée à l’aube d’une journée de printemps, la narration prendra fin le même jour, à la nuit tombante.


Nous sommes à Rome, en avril 1938. Mussolini y accueille Hitler en grande pompe. Pendant plusieurs minutes, d’authentiques bandes d`actualité retracent la traversée triomphale de l’Allemagne, puis de Italie par le train d’Hitler, et les noces en rouge et noir du fascisme et du nazisme. Nous assistons à l’arrivée du train officiel, à la descente d’Hitler, à l’accueil chaleureux qui lui est fait par Victor-Emmanuel III et Mussolini, ainsi qu’aux courbettes et congratulations tragi-comiques des Goering, Goebbels, Ciano et autres dignitaires nazis ou fascistes.


Pour fêter dignement l’illustre visiteur, le parti fasciste a convié pour le lendemain matin, à une manifestation monstre, le ban et l’arrière-ban de la population romaine. Cette journée historique — particulière —, nous allons la vivre au sein d’une famille, une famille parmi d’autres.


Après une exploration lente et méthodique de l’immeuble où elle réside — exploration non gratuite, compte tenu du rôle que cet immeuble va jouer dans l’histoire —, la caméra nous fait pénétrer, pour ainsi dire à travers les vitres, dans l’intérieur de cette famille.


Cet immeuble est un grand bâtiment moderne, de sept à huit étages, en ciment, abondamment vitré, composé de deux corps symétriques. Ce n’est pas la misère. Cela sent plutôt l’immeuble à loyer modéré, le logement social construit par le régime à des fins de propagande pour s’attacher sa clientèle.


Il fait à peine jour. Dans l’appartement, nous suivons, d’une pièce à l’autre, les déplacements d’une femme de trente-cinq à quarante ans (Sophia Loren), la mère de famille, première levée. Elle a dû être belle, mais porte sur son visage une immense lassitude. Elle va d’un lit à l’autre, réveillant ses enfants — elle en a six ! — puis son mari, en appelant chacun par son nom. Procédé d’exposition qui n’est pas sans rappeler celle du Tartuffe de Molière, que Goethe trouvait « en son genre ce qu’il y a de plus grand ». Puis les incitant ou les aidant à se préparer pour la manifestation du jour.


Nous faisons ainsi connaissance avec la fille aînée, jouvencelle effrontée, avec le grand fils, adolescent qui lit des revues déshabillées avec la complaisance, sinon la complicité, de son père ; avec le second fils, qui s’attarde plus que de raison à fumer au cabinet pendant que les autres s’impatientent ; avec le troisième, qui rechigne à aller à la manifestation parce que ses camarades le traitent — non sans pertinence — de « gros lard », et parce qu’il a perdu le pompon noir de son béret réglementaire ; à quoi sa mère répond qu’il suffira d’en prendre un blanc, reteint hâtivement en noir pour la circonstance ; avec le benjamin, garçonnet de cinq à six ans, qui sera, tout comme ses frères, habillé des pieds à la tête en balilla, et à qui l’on recommande « de ne pas faire, comme la dernière fois, pipi dans son pantalon » ; avec le père, enfin, qui commence par lui reprocher de le réveiller si tôt, puis, quand elle lui précise qu’il est six heures, de l’avoir réveillé si tard, ce qui va, dit-il, l’empêcher de faire sa gymnastique quotidienne, qu’il fera néanmoins tout de même.


On note, d’emblée, le mépris dans lequel il la tient : il l’appelle « la Napolitaine » et ne lui parle, dédaigneusement, qu’à la troisième personne. On sent, d’ailleurs, que son exemple fait tache d’huile sur les enfants. Préparatifs terminés, petit déjeuner servi — non sans récriminations paternelles —, toute la famille, en uniforme fasciste, le benjamin juché sur les épaules du père, s’en va, sauf la mère qui, retenue par ses devoirs de ménagère, s’est mise à la fenêtre de la cuisine pour les regarder partir.


Toute la population — et elle est nombreuse — du grand immeuble déferle en même temps dans l’escalier et paraît aspirée vers l’extérieur sur la cour d’accès. Il y a là un magistral mouvement de foule, marqué au coin de l’unanimisme : on se rencontre dans l’escalier, on se salue, on échange de joyeux propos. Deux enfants s’amusent à se poursuivre autour du jardinet qui est au centre de la cour. Puis la foule s’éloigne, et l’on ne voit plus — remarquable observation de romancier — qu`un jeune homme en retard dont la bande molletière s’est détachée, et qui se penche le temps nécessaire pour la rattacher, et repart en courant.


Nous voici donc apparemment seuls avec la mère dans ce grand immeuble et, à coup sûr, dans cet appartement. Comment ne pas penser ici aux fameuses réflexions inspirées par l’unité de lieu à Victor Hugo dans la préface de Cromwell ? « De graves personnages, placés comme le chœur antique entre le drame et nous, viennent nous raconter ce qui se fait dans le temple, dans le palais, dans la place publique, de façon que souventes fois nous sommes tentés de leur crier : “ Vraiment ! mais conduisez-nous donc là-bas ! On doit bien s`amuser, cela doit être beau à voir. ” Eh bien, ces lignes définissent ce que précisément l’auteur du film entend ne pas faire : « C’est ici, nous dit-il, et non à la manifestation, que vont se passer les choses intéressantes. » De plus — et c’est en quoi il va plus loin que la tragédie classique —, c’est pour la formule de la tragédie grecque qu’il a opté, pour le chœur et pour le récit, car, tout au long de cette journée, le chœur antique, je veux dire la radio, ne va cesser de nous apporter, de façon pour ainsi dire obsessionnelle, les échos, parlés et chantés, de la place publique. Restée seule, la mère commence à tourner sans conviction dans son appartement, accablée par la perspective de la besogne qui l’attend. Cela nous est une occasion — et ce ne sera pas la seule — d’apprécier le méticuleux effort de reconstitution, dans l’équipement, dans les accessoires et dans la décoration, d’un intérieur de famille petit-bourgeois à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Notons à ce propos qu’il ne s’agit pas ici d’un intérieur pauvre. Sa modestie, son caractère approximatif, ses fautes de goût sont imputables à l’abondance de la famille, à son niveau culturel, plus qu’à une insuffisance fondamentale de revenus. Nous verrons, entre autres choses, encadré et accroché au mur, un diplôme de participation à la lutte antituberculeuse.


De guerre lasse, la mère s’assied, s’affale presque à la table de la cuisine où la famille a pris son petit déjeuner, y boit machinalement les fonds mêlés de deux tasses de café, quand le mainate qui est en cage à la fenêtre vient se rappeler à son attention. Ce mainate, nouvelle caractéristique de la tragédie grecque, va jouer le rôle de la fatalité antique : alors qu’alertée par ses cris, elle s’affaire à renouveler sa provende, il profite de ce qu’elle a laissé par inadvertance la porte de la cage ouverte pour s’envoler. Il dessine quelques arabesques dans la cour de l’immeuble, et finit par se poser dans une encoignure du second corps de bâtiment. Sa maîtresse, ayant repéré l’endroit, va frapper à la porte du locataire qui occupe l’appartement le plus voisin pour lui demander la permission de le récupérer à partir d’une de ses fenêtres. Or, le temps qui lui est nécessaire pour se rendre d’un appartement à l’autre, la caméra va l’utiliser pour nous présenter ce locataire (Marcello Mastroianni) dans son cadre. C’est un beau garçon d’une quarantaine d’années, élégamment vêtu et soigneusement peigné. Il vit dans un désordre qui sent manifestement l’installation de passage. Une table de travail, sur laquelle s’empilent, entre autres papiers, des enveloppes. Un revolver est posé dessus ; le téléphone vient de sonner. Le locataire répond. L’interlocuteur est un homme, auquel il parle sur un ton à la fois intime et assourdi. Le locataire paraît en détresse et lui avoue qu’il vient d’avoir la tentation de faire une bêtise. La mère de famille sonne, et explique le but de sa visite. Il la fait entrer, et, à l’aide d’un balai, ils arrivent, sans trop de difficulté, à récupérer le mainate.


Or, avec une familiarité toute méditerranéenne, elle ne paraît pas pressée de s’en aller. Elle dit avantageusement que son mari est chef des huissiers au Ministère de l’Afrique Orientale. Elle s’enquiert de la profession de son hôte. Celui-ci lui dit, à sa grande admiration, qu’il est journaliste à la radio. Elle manipule les livres qui sont à terre, et notamment les Trois mousquetaires, dont elle montre involontairement sa totale ignorance. L’autre lui propose de l’emporter. Elle remercie avec effusion, mais ajoute qu’avec ses occupations domestiques, elle n’a guère le temps de lire. Des empreintes de pied sont dessinées à la craie sur le sol. Il explique qu’elles représentent les pas de la rumba, que c’est une danse très facile, et s’offre à les lui apprendre. Elle accepte, mais, tandis qu’il va remonter le phonographe à manivelle, elle en profite, la coquetterie reprenant ses droits, pour — trait de réalisme saisissant — retirer furtivement sa chaussure, et replier l’extrémité avant de son bas qui dépasse. Elle finit tout de même par se retirer. L’autre, resté seul, ne peut détacher sa pensée de cette visite providentielle qui l’a détourné de sa tentation suicidaire. Prenant prétexte du livre que, volontairement ou non, elle n’a pas emporté, c’est maintenant lui qui va frapper à sa porte, s’enhardissant jusqu’à lui demander de lui offrir un café. Café qu’elle lui demande de moudre. Pendant cette opération, qui s’effectue dans la salle à manger alors qu’elle s’affaire dans la cuisine, quelques grains s’étant répandus sur le sol, il les ramasse tant bien que mal, en repousse hâtivement le restant sous le tapis, et glisse dans sa poche les trois ou quatre derniers grains. A partir de là, ils ne vont plus guère se quitter de la journée, soit que l’un aille chez l’autre, soit qu’ils se retrouvent en terrain intermédiaire, comme la terrasse entre les deux corps de l’immeuble.


Là encore, ces évolutions alternatives entrecoupées de pauses nous paraissent s’inspirer des évolutions du chœur : strophe, antistrophe et épode, dans la tragédie grecque. Pendant tout ce temps, le sans-gêne méditerranéen aidant, leur familiarité et leurs confidences vont aller croissant, et cela malgré l’intervention répétée de la concierge de l’immeuble, autre personnage de la tragédie grecque — vieillard ou messager —, gardienne sourcilleuse de stricte obédience fasciste, qui met en garde la mère de famille contre ce locataire qui ne lui inspire aucune confiance et qui ne saurait être fréquentable pour l’épouse d’un honorable serviteur du régime. Rien n’y fait : ces deux épaves — ces deux paumés, serions-nous tenté de dire — sont inévitablement attirées l’une vers l’autre. C’est ainsi que nous apprendrons peu à peu, en feuilletant l’album de photographies et de coupures de magazines que cette mère au cœur de midinette tient au jour le jour sur le Duce, dont elle a réalisé par ailleurs un portrait encadré au moyen de boutons de mercerie, l’étendue de la dévotion fasciste chez l’Italien(ne) moyen(ne) : ne s’est-elle pas évanouie dans la rue un jour qu’elle a croisé son cortège, et que son regard a rencontré le sien ? Fameux cavalier que Mussolini, et, ajoute son interlocuteur, rude amoureux aussi ! Mais lui, qui est-ce ? Journaliste radiophonique, certes, mais mis sur la touche pour déviationnisme politique et dépravation. Sa qualité d’homosexuel lui a valu de se voir retirer sa carte du parti fasciste et, concurremment, son emploi. Tous ses collègues se sont écartés de lui. Il a assisté récemment à l’embarquement d’un camarade sur la route de la déportation politique, et il en est resté profondément marqué. II vivote actuellement en copiant des adresses sur des enveloppes pour le compte d’un grand magasin. Elle, de son côté, se sent profondément humiliée : son mari et ses enfants ne lui adressent guère la parole. Son mari est un bellâtre brutal, qui fréquente assidûment les bordels, et qui, suprême humiliation, a pris pour maîtresse une institutrice, pour mieux faire ressortir sa propre ignorance. Toutes ces confidences sont implacablement ponctuées par le déferlement ininterrompu de la radio, qui est partout dans l’immeuble, qui diffuse tous les détails de l’idylle germano-italienne, de la parade militaire qui l’accompagne, le tout au son de l’ouverture de Tannhäuser, de Giovinezza, de l’hymne allemand et du Horst Wessel Lied. Ainsi, lors des comices agricoles dans Madame Bovary, la conversation galante d’Emma et de Rodolphe est-elle entrecoupée par les échos des discours de M. Tuvache, de M. Lieuvain, et des remises de récompenses.


A noter, au passage, une image saisissante, qui nous paraît admirablement symboliser le parti pris classique de l’auteur du film : quand le commentateur de la parade annonce le passage des forces aériennes dans le ciel, nous entendrons évidemment les avions, mais nous ne les verrons pas. Seule leur ombre se profilera le temps d’un éclair, sur la façade de l’immeuble.


Au fil de cette journée, avons-nous dit, leur familiarité ira croissant. Alors qu’ils sont sur la terrasse, elle occupée à ramasser du linge, une agacerie à laquelle il se livre déchaîne sa vertu offensée de matrone romaine : elle lui reproche de ne « penser qu’à ça ». Reproche qu’il lui retourne sans ménagement, en lui rappelant, à grand renfort de synonymes hurlés avec détresse, qu’il est homosexuel. Après quoi il se retire chez lui.


Leur séparation sera brève : remords de l’avoir blessé, sympathie pour une âme sœur en qui elle a découvert un homme d’une autre qualité que son époux, c’est elle cette fois qui va le relancer, et, avec des gestes de mante religieuse, va s’emparer de lui, tout étonnée d’avoir pu faire l’amour avec un homosexuel. Il lui explique que cela est possible, mais que cela ne change rien. Au demeurant, cette rencontre, en ce jour, restera pour lui inoubliable.


Mais voici que les manifestants sont de retour. Elle n’a que le temps, en passant par la terrasse, de regagner son domicile pour accueillir sa glorieuse famille. Le retour, comme l’aller, donne lieu à un remarquable mouvement de foule. Tout le monde se félicite d’avoir participé à cette journée historique. Nous retrouvons le jeune retardataire de ce matin toujours aux prises avec sa bande molletière. L’auteur du film manie les correspondances, les préparations dramatiques avec une maîtrise consommée. Nous en verrons d’autres exemples. La nuit est maintenant tombée. Le père et les enfants, joyeux et affamés, se retrouvent autour du dîner ; l’un des fils a la joue toute noire, fruit d’un pompon mal teint. Si nous l’avions oublié, tel n’est pas le cas de l’auteur.


Le père, à son habitude, multiplie les récriminations : le dîner est froid ; la Napolitaine aura, comme toujours, passé son temps à ne rien faire. Elle, est là, mais sa pensée est ailleurs, et son regard se tourne invinciblement vers la fenêtre d’en face. Le père, lui, émoustillé par son ardeur patriotique, et alléché par l’espérance de substantiels avantages sociaux, parle de mettre en chantier le septième enfant. Le dîner terminé, il se retire ainsi que ses enfants, et laisse, comme d’habitude, sa femme dans sa cuisine, non sans lui recommander de ne pas tarder à le rejoindre.


La fin est d’une poignante simplicité. Restée seule dans cuisine, elle s’assied près de la fenêtre et feuillette les Trois mousquetaires, tout en scrutant la fenêtre d’en face. Dans l’appartement, l’homme, tout habillé, met la dernière main à ses bagages. Machinalement, il fouille dans la poche de sa veste, en extrait un grain de café et le croque. Nous n’apercevons qu’avec un temps de retard les deux sbires en civil qui sont venus l’emmener. Ils ne le bousculent pas : le bateau ne part qu’à minuit. Sa compagne d’un jour le voit sortir de l’immeuble, sa valise à la main, entre ses deux anges gardiens.


Une Journée particulière est un implacable réquisitoire contre le fascisme omniprésent. Grotesque et féroce. Mais c’est aussi, remarquablement construit, admirable de dépouillement, l’équivalent le plus achevé de la tragédie grecque que nous ait donné, à ma connaissance, le cinéma. La première fois que je l’ai vu, un bon bourgeois, à la sortie, disait à sa femme : « Mais il n’y a rien dans ce film. » Je ne sais pas de plus bel éloge.


Léon-Raymond LÉVY

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.