Marcel Carné ciné-reporter (1929-1934)

MARCEL AVANT CARNE


Si le nom de Marcel Carné vient à s’estomper, certains de ses films, heureusement, restent illustres. Il n’est qu’à citer Les Enfants du paradis – unique chef d’œuvre authentique du cinéma français – pour situer le monsieur. Celui que Gabin surnommait « le môme » fut un grand du septième art. Même si certaines de ses œuvres sont très moyennes. On ne saurait réussir à tous les coups.

Avant de se lancer pleinement dans la réalisation, Marcel Carné fut un reporter insatiable. Un gourmand de cinéma, un gourmet de « bons » films. Sévissant dans plusieurs journaux et magazines, il a laissé derrière lui une prose impressionnante. Cet ouvrage recense un nombre conséquent de textes portant sur la période 1929-1934.

D’emblée on est saisi par le fait que le jeune Marcel semble avoir tout vu et tout retenu. Il parait incollable sur tout et, dès qu’il en trouve l’occasion, dresse des listes précises de films réunis par une même thématique ou un même esprit. Époustouflant.

Mais le Marcel fait le tri. On comprend bien qu’il ne vise que les films qui ont quelque à dire et quelque chose à montrer. Les gaudrioles, les comédies faciles, très peu pour lui. On sent déjà poindre le futur réalisateur exigeant cherchant à la fois des bons scénarios et de bons acteurs.

Carné adore le cinéma français et regrette, déjà, une baisse de qualité. Il apprécie aussi certains représentants du cinéma américain et vénère le cinéma russe qui a pourtant du mal à trouver écrans français où s’épanouir. Il est parfois un peu aveuglé par cet amour. Quand il est question de censure, il s’indigne que les films russes n’aient pas portes ouvertes dans l’Hexagone. Et dans le même temps, il repousse avec vigueur l’idée que des films italiens, considérés comme fascistes, puissent être projetés en France. Deux poids, deux mesures.

Là ne se situe pas l’importance de ce livre. Les opinions de Marcel Carné pour intéressantes qu’elles soient ne sont que des parti pris. De plus il fait référence à des productions pour la plupart oubliées, y compris des plus férus des cinéphiles. En réalité, l’incroyable intérêt de cette compilation réside dans le fait que Carné est un témoin de son temps. Il raconte, et critique, le cinéma qui l’entoure. C’est-à-dire, très précisément le passage du muet au parlant.

Dès lors ce livre devient un passionnant livre d’histoire. À lire les écrits du « môme », on se rend compte, qu’en France tout au moins, ce passage ne s’est pas fait en douceur. Non seulement au niveau artistique (fallait-il arrêter subitement de tourner des films muets ?) mais aussi au niveau de l’exploitation en salle (installer de nouveaux projecteurs était un pari aussi coûteux que risqué). Page après page, devient palpable le doute qui taraude la profession. Deux clans s’opposent : les défenseurs du muet – dont Carné fait partie durant un temps – les convaincus du parlant.

Marcel a raison de dire qu’il s’agit à la fois de deux époques mais aussi de deux cinémas très différents. Au moment où le muet semblait atteindre l’âge adulte, le septième art fait presque machine arrière pour faire parler ses comédiens.

Grâce à tous ses articles, on en apprend beaucoup sur cette période charnière du cinéma. On a presque l’impression de suivre jour après jour les premiers pas difficile des « talkies », comme il les appelle. Historiquement, ce livre est de première importance.

Les articles y sont classés par catégories et chaque chapitre est présenté par Philippe Morisson, fan de Marcel Carné dont les connaissances paraissent encyclopédiques. Il est précis, ne se trompe pas et apporte des informations nouvelles. Seuls ses renvois trop fréquents à son site internet sont un peu agaçants…

Il n’en demeure pas moins que ce livre s’adresse en premier lieu aux cinéphiles (et aux historiens du cinéma). Cela ne diminue en rien sa valeur. Mais les lecteurs qui espèrent en savoir plus sur les potins de l’époque ou sur les tournages de certaines productions en seront pour leurs frais.

À noter un bel hommage à Jacques Feyder, cinéaste belge que Marcel Carné portait aux nues et avec lequel il a travaillé. Feyder, encore plus oublié aujourd’hui que Carné. Dommage.

Je profite de ces quelques lignes pour saluer un éditeur que je ne connaissais pas : La tour verte. À lire les titres qui figurent dans sa collection La Muse Celluloïd, on devine qu’il vise un travail original et de qualité. Chapeau bas. Cela devient rare dans la profession…


Philippe Durant 


Marcel Carné ciné-reporter (1929-1934)

Textes de Marcel Carné présentés par Philippe Morisson, La tour verte, mars 2016, 475 pages – 18,50 €


Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.