La littérature érotique, De François Villon à Jean Genet, les bienfaits de l'érotisme littéraire

On peut se demander ce qu’une énième anthologie érotique peut apporter à l’écriture de ce genre littéraire et je redoutais à vrai dire d’y trouver encore et toujours les mêmes textes. Et bien vraiment pas. Les choix de Claude-Henri du Bord sortent souvent des sentiers battus même si quelques classiques trônent toujours en bonne et due place. En préambule, l’auteur s’essaie à cerner les frontières de ce monde soumis à l’emprise des sens et nous rappelle que la notion érotique est mouvante. Ce qui était érotique il y a trois siècles peut ne plus l’être désormais, ou vice-versa, que ce soit dans l’expression ou dans les pratiques amoureuses. Chose qu’avait très bien expliquée Jean-Jacques Pauvert dans sa « Métamorphose du sentiment érotique ». 

 

Par exemple, la pédophilie et le viol qui furent éminemment érotiques pour beaucoup de poètes et d‘écrivains libertins, ne peuvent tout simplement plus l’être  de nos jours, même la transgression excitante de ces tabous n’est plus envisageable. Il faut donc replacer chaque texte dans son époque pour avoir une idée de l’évolution des mœurs et de la morale.

 

L’érotisme nous sauve de la pornographie (p 11) estime Claude-Henry  du Bord en nous permettant de comprendre l’amour autrement que comme une mécanique. Le parti pris de l’auteur est de présenter  des textes estampillés érotiques à l’époque où ils ont été écrits, par les réactions qu’ils suscitèrent, scandales, procès, succès, notoriété de bouche à oreille, mise à l’index ou relégation. L’anthologie est divisée en 6 chapitres, du Moyen Âge au XXe siècle et je me demande une fois de plus pourquoi dans cet ouvrage le contemporain n’est pas abordé… Mais j’y reviendrai après un petit survol des textes, juste pour vous mettre en appétence.

 

Le sexe féminin est célébré et décliné sur tous les tons… des grands et des petits, pour tous les goûts :

 

… Ces petits cons, dont l’on fait fête,

Ou le vît ne met que la tête, n’assouvissent point mon désir ;

J’aime les cons de belle marge,

Les grands cons qui sont gros et larges,

Où je l’enfonce à mon plaisir… (Pierre Motin)

 

Mais aussi :

 

… Les ans raviront tes appas

Et ton con deviendra si vaste

Que les mulets n’en voudront pas… (François Maynard)

 

Et puis, Théophile de Viau dépité par ces dames éprises de leurs gaude-michis,  se lamente :

 

Mesdames qui avez inventé cet usage

De vous jouer vous-même à des vits de velours,

Si vous vouliez d’autrui rechercher le secours

Certes vous y aurez du plaisir davantage

Pour apaiser d’un con la fureur et la rage ,

Il lui faut un gros vit et lequel soit toujours

Bien roide et bien fourni de la sauce d’amour…

 

L’ode à Priape gouailleur au possible ne fit pas rire Louis XV.

… Foutre des neufs garces du Pinde, Foutre de l’amant de Daphné, Dont le flasque vit ne se guinde, qu’à force d’être patiné… valut à à  son auteur, Alexis Piron, l’exil et la perte de son agrément pour son élection à l’Académie Française.

 

Nicolas Restif de la Bretonne prête à Conquette une vitalité d’enfer pour s’adonner bien activement aux gaudrioles avec son père, elle en redemande la coquine et si crument. En lisant ce texte totalement décadent même aujourd’hui (ou surtout aujourd’hui) je me disais qu’il n’y a qu’une anthologie pour pouvoir publier de tels textes, le caractère classique de l’œuvre la protège de la censure car célébrer l’inceste dans un tel registre de langage serait, je suppose, interdit en 2013. 

 

Voltaire, lui, se fit plaisir en offrant à la Pucelle d’Orléans la puissance et la douceur d’un bel âne, laquelle Jeanne ne bouda pas son plaisir avec l’animal.  

 

Et Stendhal et Victor Hugo s’essaient gentiment au genre tandis que Catulle Mendès, protégé de Théophile Gautier, commet un très beau texte sur le viol conjugal dans un passage de Méphistophéla.

 

Quant à L’Elvire… d’Henri de Régnier : 

Quand le désir écarte ses genoux, Et que son bras plié jusqu’à sa bouche attire, Tout à l’heure si clairs, si baissés et si doux… on ne reconnaît plus ses chastes yeux !

 

Jules Verne nous amuse avec ses lamentations d’un poil du cul de femme et Pierre Cananaggio célèbre délicatement la fessée avec sœur Sibylline, mêlant étroitement le plaisir cérébral à celui de la chair… car si nous cherchons les mêmes joies que les autres nous ne prenons pas les mêmes routes.

 

Pour conclure l’anthologie Claude-Henry du Bord propose un petit essai sur la littérature érotique française. La première partie de cet essai est intitulée « une définition impossible ». Pour en avoir lu des dizaines, il paraît plus facile de traiter de la mort, de la jalousie, de l’amour… que de l’érotisme. Le serpent se mord la queue parfois. Je suis étonnée que du Claude-Henri du Bord écrive qu’érotisme, pornographie et obscénité n’ont pas  grand-chose à voir alors qu’il admettait au début de l’ouvrage que les frontières étaient incertaines... et plaidait pour un érotisme à large palette d’expression qui va du simple amusement à la plus franche pornographie. Il finit pourtant en fin d’anthologie par définir la pornographie comme un appel brutal à la sexualité pure par des moyens grossiers et pauvres et l’obscénité un avilissement caricatural des valeurs érotiques. Au passage, je trouve curieux cet assemblage de mots contre nature « valeurs érotiques ».  Comme si l’érotisme se réclamait de valeurs…

   

Du Bord cite alors Bataille « est obscène par exemple un objet sexuel qui ne séduit pas : exemple une femme obèse ». Pourtant, la femme grosse et même obèse fort heureusement séduit véritablement des hommes qui ne les considèrent pas comme des objets sexuels seulement capables de déclencher des pulsions primaires. La dictature du beau ou celle d’une notion formatée de l’esthétique délimiterait donc l’érotisme ?

 

Alors, puisque Du Bord explique en préambule qu’il a choisi des textes « érotiques », que penser du délire de Conquette qui se vautre dans le stupre en ces termes « Papa Papa, fourgonne ! Tu es dans le con de ta fille  ! Remue du cul papa ! Tu me fous, tu me fous… » J’en passe et des meilleures, le texte enfile sans métaphore aucune du foutre, des couilles, des décharges, des salopes et des putains… Alors, cette scène est-elle érotique ou… un appel brutal à la sexualité pure par des moyens grossiers ou encore... un avilissement caricatural des valeurs érotiques ? J’avoue que je me perds un peu dans les méandres du cheminement de l’auteur, et me rattrape à ses autres mots lus dans les pages précédentes l’érotisme est absence de retenue et le cœur parfois n’a rien à y faire…

 

Bataille résume bien l’affaire : « L’esprit humain est exposé aux plus surprenantes injonctions. Sans cesse il a peur de lui-même » (in L’érotisme). Pour ma part, je fais mienne l’affirmation de Desnos : « L’érotisme est une science individuelle. »


Pour en revenir aux textes réellement contemporains toujours absents des anthologies, je me demandais s’il n’y avait pas une espèce de frilosité de la part des auteurs de ces morceaux choisis à sortir du confort du sulfureux bien canalisé, enfermé dans l’Enfer de la très respectable BNF, que les lecteurs ont appris à apprivoiser et surtout dont les auteurs ont l’avantage d’être tous des hommes morts, ou quasiment. Sous prétexte que tout écrit érotique du XXIe siècle serait nul et ne mériterait pas de rentrer en terre littéraire, comme on le lit souvent dans les médias, on jette le bébé avec l’eau du bain sans prendre la peine de partir à la découverte des textes et de leurs auteurs. Quitte à quêter longuement et à séparer le bon grain de l'ivraie comme on peut le faire pour des textes classiques dont certains n’ont absolument aucune qualité littéraire, mais juste le mérite d’être un peu affriolants. 

 

J’ai ainsi dans ma bibliothèque quantité de textes anciens écrits notamment par des ecclésiastiques ou des anonymes, que l’on retrouve fréquemment dans des florilèges et qui n’arrivent pourtant pas à la cheville de certains publiés ces vingt dernières années. Et pourtant Claude-Henri du Bord évoque juste en quatre lignes ces écrits contemporains : sur dix volumes contemporains parus, huit à neuf sont ainsi écrits par des femmes qui trouvent dans ce mode d’expression (hélas souvent d’une qualité médiocre) non seulement une revanche appropriée, mais encore un moyen d’exprimer, sans vergogne ni tabou, leur attachement à une émancipation toujours fragilisée, ne serait-ce que par le regain de certains fondamentalistes religieux.

 

J’ai donc écrit à Claude-Henri du Bord pour lui demander la raison de cette absence de textes récents, voici ma question et sa réponse qu’il m’a très gentiment transmise sans attendre, je l’en remercie une nouvelle fois.

 

— Anne Bert : Pouvez-vous me donner la raison pour laquelle, vous comme beaucoup d'autres, avez totalement ignoré la littérature vraiment contemporaine de ces dizaines dernières années. Toutes les anthologies s'arrêtent au mieux à Emmanuelle ou Histoire d'O... comme si l'écriture des choses du sexe, l’érotisme avaient subitement disparu de la vie littéraire.

Lisez-vous ce qui se publie ces dernières années et pouvez-vous m'expliquer votre parti pris ? Ne pensez-vous pas qu'il puisse être intéressant de se pencher sur cette littérature érotique dont les auteurs sont d'ailleurs surtout des femmes , en somme n’est-il pas intéressant d'interroger par ces textes récents la prise en main de ce registre par les femmes, leur façon de dire l'amour et le sexe ? 

— Claude-Henri du Bord : "Comme vous avez raison ! Je connais et j'apprécie la littérature érotique contemporaine et je crois même bien la connaître, pour avoir notamment, lu les romans parus chez Zulma ou chez Stock dont certains sont excellents. Alors, pourquoi ne pas en parler davantage ? La cause est simple : les éditeurs refusent de payer les droits d'oeuvres contemporaines et, de manière générale, de tous ceux qui ne sont pas encore dans le domaine public. Il est déjà très difficile d'obtenir certaines autorisations, comme pour certains poèmes d'Eluard, ou plus ennuyeux, pour Hardellet par exemple. Ainsi, certains textes parus aux éditions de Minuit sont inaccessibles pour de strictes raisons budgétaires et les éditeurs imposent un quota d'oeuvres contemporaines très restreint. J'aurais beaucoup aimé donner un large aperçu de la production actuelle, d'autant plus représentative et notable, que contrairement à l'opinion commune, je ne considère pas comme mineure, des obligations éditoriales me l'interdisent et je rêve de pouvoir disposer d'assez de liberté (et de budget) pour le faire un jour. Je suis d'autant plus frustré que j'estime que l'écriture d'œuvres érotiques par des femmes est une revanche légitime sur l'histoire et que leur approche appelle autant de respect que de considération. En somme, elles sont aujourd'hui victimes d'une autre espèce de censure : les contraintes économiques !
Nulle exclusion volontaire de ma part... un terrible regret. J'aurais, je pense, dû le signaler dans mon étude afin que le lecteur soit informé de cette nouvelle forme de mise à l'écart."

 

Anne Bert

 

Claude-Henry Debord, La littérature érotique. Les plus belles pages, De François Villon à Jean Genet, Edition Eyrolles, octobre 2012, 298 pages, 18 €

 

3 commentaires

Bonjour, 
Je voulais vous remercier pour cette critique et vous dire que j'avais mis un lien de cette page sur mon site.
Bien à vous

anonymous

Bonjour,

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