"Demain les chiens", les meilleurs amis de l'homme

L’arbre qui cache la forêt

 

Il arrive souvent qu’un roman finisse par faire oublier l’ensemble d’une œuvre, voire son auteur : Cliford D.Simak a été victime de ce syndrome avec Demain les chiens, roman tiré de l’assemblage de plusieurs nouvelles (pratique typique dans la littérature de genre américaine) paru en 1952 et devenu au fil des décennies un des grands classiques de la science-fiction américaine. Simak fut pourtant un des meilleurs nouvellistes de sa génération, plusieurs fois cité pour le prix Hugo (on saluera ici l’entreprise éditoriale du Belial’ qui a publié deux volumes de nouvelles qui regorgent de pépites).


Ici, la collection « nouveaux millénaires » chez  j’ai lu nous offre donc son classique, l’arbre qui cache la forêt, dans une nouvelle traduction. Alors faux classique ? Ou Vrai chef d’œuvre ?

 

Les hommes laissent la place aux chiens

 

Demain les chiens débute par un avertissement du compilateur : les hommes ont-ils réellement existé ? Avec toute la sagesse d’un universitaire, il nous donne un état de la recherche sur ce sujet qui agite les intellectuels canins avant que ne commence la lecture des contes. Ils retracent en fait l’histoire des hommes à travers une famille, les Webster, liée à chacun des bouleversements de l’histoire : l’abandon des villes, la création des robots, la conquête des étoiles,  l’apparition de mutants et, enfin, le don de la parole aux chiens. Les Webster sont loin d’être des démiurges nietzschéens. Ce sont juste des hommes ordinaires qui doutent, commettent des erreurs  (l’un d’eux refuse par exemple de quitter sa ferme pour aller opérer son ami martien Juwainn tellement il est attaché à sa terre, privant ainsi l’humanité d’une philosophie nouvelle que le martien développait).

 

A un moment dans le futur, la majeure partie de l’humanité émigre vers Jupiter pour vivre sous une autre forme. Les derniers hommes, désœuvrés, finissent par s’abandonner au sommeil cryogénique à Genève, laissant la planète aux chiens qui bâtissent une nouvelle civilisation. L’histoire de milliers d’années défile sous nos yeux de façon vertigineuse, un peu comme dans l’histoire du futur d’Heinlein. On pense aussi à la planète des singes ( comme ici, les humains sont remplacés par une autre espèce). Mais où est l’originalité de Simak ?

 

Le ton de Simak

 

Ce dernier possède une manière particulière de faire vivre ses univers. Volontiers bucolique, on l’a qualifié de passéiste pour sa glorification des valeurs rurales, son amour de la campagne. Tout cela est présent dans Demain les chiens, archétype de l’humanisme de Simak. C’est    souvent avec regret que ses personnages agissent dans l’histoire : les Webster font des choix qui leur coûtent. Et notre auteur réussit à nous attacher à eux, humains, robots et chiens.

 

Au final, le lecteur achève le roman avec nostalgie. Nostalgie, le mot est lâché. À bien y réfléchir, on peut rapprocher Simak de Bradbury. L’auteur des Chroniques martiennes a souvent été qualifié de nostalgique, de mélancolique. Idem pour Simak mais, à mon humble avis, ce dernier traite le genre avec beaucoup plus de respect que Bradbury dont l’ambition littéraire lui faisait mépriser le matériau avec lequel il créait son œuvre. Vrai classique, célébré par Robert Silverberg dans une excellente postface, typique de son auteur, on ne peut qu’inviter le lecteur à découvrir (ou à redécouvir)  Demain les chiens, œuvre qui n’a pas pris une ride. Comme beaucoup de livres de cette époque d’ailleurs. Nostalgie quand tu nous tiens…

 

Sylvain Bonnet

 

Cliford D.Simak, Demain les chiens, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre-Paul Durastanti, Postface de Robert Silverberg, J’ai lu, septembre 2013, 283 pages, 16 €

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