Truffaut et Godard : les enfants terribles

Truffaut et Godard sont les cinéastes français sur lesquels on a le plus glosé. Dépassant de loin des Renoir, Clouzot, Carné et Pécas. Des dizaines de livres, des milliers de pages. Pourtant restait un trou béant : mettre en parallèle leurs deux carrières. Trou comblé par Arnaud Guigue, ci-devant agrégé de philosophie. Partiellement.

François et Jean-Luc sont tous deux associés à la Nouvelle Vague dont ils restent, dit-on, les plus flamboyants représentants. Mais :

« Frères d’armes, ils le furent, certes, mais le temps d’une guerre qu’ils livrèrent comme critique (NB : il n’y a pas de s dans le livre donc je n’en mets pas). Pour le reste ils n’eurent rien en commun. Ni leur milieu, ni leur tempérament, ni leur conception du monde et des autres. C’est parce qu’ils firent face à un même ennemi qu’ils se rallièrent non parce qu’ils partageaient positivement des valeurs ou des croyances. » (p 7)

Le propos est de comparer les films qui sont comparables. Plus exactement de les disséquer presque plan par plan, image par image. Il est recommandé de connaître presque par cœur la filmographie des deux susdits mais à l’impossible nul n’est tenu.

D’emblée l’auteur précise : « Ce livre n’est donc aucunement une attaque contre Godard, tout au plus un plaidoyer en faveur de Truffaut » (p 9)

Pieux mensonge. Guigue ne s’érige pas du tout en analyste objectif mais en avocat de la défense. Il aime Truffaut et se montre prêt à le défendre bec et ongles pourfendant jusqu’aux limites de la mauvaise foi. Et à le lire on en vient à se demander s’il ne déteste pas Godard, qui en prend plein la figure. En tout cas, Guigue repousse le fait que l’affirmation réitérée selon laquelle l’un est resté fidèle à lui-même et, dans une certaine mesure, à la Nouvelle Vague pendant que l’autre s’embourgeoisait jusqu’à finir par signer des mélodrames calqués sur ceux qu’il critiquait dans sa prime jeunesse. Opinion que, personnellement, je partage mais là n’est pas le problème.

Arguments à l’appui, l’auteur tente tout au long de son livre de nous convaincre que Truffaut était si ce n’est meilleur au moins plus novateur que Godard. Certes.

L’ouvrage s’articule autour de « duels » ou un film est comparé à un autre. Ça commence fort avec les faux polars que sont A bout de souffle et Tirez sur le pianiste. Puis Bande à part contre Jules et Jim, Alphaville contre Fahrenheit 51… A chaque fois, comme par magie, Truffaut sort vainqueur. Même quand il s’agit de l’insupportable La Sirène du Mississipi face au flamboyant Pierrot le fou ! Un tel zèle dans la défense systématique de François mérite le respect. Et quand il s’agit d’analyser les films traitant de cinéma, l’on constate que le philosophe tente de descendre Le Mépris de son piédestal pour y installer, en vain, La Nuit américaine.

Enfin à la question « Quel public aujourd’hui ? » il est écrit d’un côté « A bout de souffle, Pierrot le fou, Le Mépris, pour ne retenir que ses standards incontestés, ne sont en fait guère connus aujourd’hui du grand public » et d’un autre « Truffaut touche, lui, tous les publics – toute classe sociale et culturelle confondue, le cinéphile comme le spectateur du dimanche et de tous âges. Les enfants peuvent y trouver leur compte, comme les adolescents, les quadragénaires ou les retraités. » (p 214) Si ça ce n’est pas du parti pris je veux bien manger mon crayon de bois. J’imagine mal un enfant rester à une projection entière de La Chambre verte et moi-même, adolescent, je me suis barré à la moitié de L’Enfant sauvage (mais je ne suis pas un bon exemple, d’autant que j’ai fui aussi au milieu de Nouvelle Vague de Godard malgré Delon).

Tout cela pour aboutir au dernier paragraphe du « plaidoyer » que je vous livre in extenso :

« Godard est peut-être l’inventeur du jump-cut et l’un des grands ethnologues de la société française des années 1960. Deux ou trois films ont peut-être changé l’histoire du cinéma. Et sans doute aussi lancé de nouvelles modes, telles que la coupe garçonne inspirée de celle de Seberg dans A bout de souffle. Mais rien de comparable, selon moi, avec l’œuvre de Truffaut qui conserve encore aujourd’hui le pouvoir de changer profondément la vie des êtres. Je ne parle pas de tel ou tel de ses grands films que je n’aurais probablement pas rangés dans mes préférés, mais bien de son œuvre, unique en son genre. Je peux en témoigner. » (p 226)

Tout est dit. Mais il eut été plus honnête de commencer par là. Expliquer que ce livre est construit à la gloire de François au détriment de Jean-Luc. Ce n’est plus Truffaut et Godard mais Truffaut au-dessus de Godard. Pas tout à fait la même chose.

Restent des analyses fouillées, pertinentes malgré un parti-pris qui alourdit le propos.

Côté petites erreurs, j’en ai relevées certaines dont la persistance me fait croire que dès que M. Guigue sort de son pré carré il se prend les pieds dans le tapis. A ma connaissance Lubitsch s’écrit avec un « s ». A moins que Lubitch soit un obscur cinéaste dont nul n’a jamais entendu parler. L’acteur de Quand la ville dort se nomme (Sterling) Hayden et non Haden. Plus troublant Fanny Ardant doit attendre la page 161 pour retrouver la plénitude de son patronyme, auparavant elle est qualifiée d’Ardent. Dans un autre registre, plus cinéphilique, Lemmy Caution, immortalisé par Eddie Constantine, n’a jamais été un « privé » mais un agent du FBI ! Quant à la célèbre réplique d’Arletty dans Hôtel du Nord elle est : « Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » et non « Est-ce que j’ai une tête d’atmosphère. »


Philippe Durant


Arnaud Guigue, Truffaut & Godard, la querelle des images

CNRS Editions, septembre 2014, 252 pages, 23 €

2 commentaires

Max Pécas à côté de Carné dans votre énumération du début, c'est dur quand même!!

Il est certain que prôner Truffaut au détriment de Godard est de la responsabilité de l'auteur mais pourquoi déguiser le livre en "portraits croisés" si il s'agit d'une Ode au premier !!! Il eut mieux valu être franc et changer le titre "La pensée philosophique dans l'oeuvre de Truffaut" et le mettre au programme de philo en 2015 afin que l'auteur touche ses droits mais que le lecteur ne soit pas berné